Au Maroc, on parle français Monsieur

30 janvier 2012

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Je me souviens d’un mois passé en Espagne à baragouiner la jota la ceta, vale vale, que tal, repite por favor… Bientôt un mois au Maroc, et je suis comme en terre conquise, à causer le français à l’autochtone, parce qu’au fond hein quelle belle langue, tellement civilisée.

Tous les jours à Barcelone demandaient un effort pour comprendre, répliquer. Ce mois-ci, par pure incompétence en arabe de ma part, ça a été aux Marocains de faire l’effort. Ce qui n’est pas neutre : le rapport de force est inversé. Même s’ils font de leur mieux, je suis plus précis, plus armé : je possède l’avantage délirant de m’exprimer dans ma langue à l’étranger. Ainsi, de l’Espagne au Maroc, j’ai pu troquer l’habit de barbare émigré pour le costume de colon distingué. Donc vivent les colonies.

Faïna me disait que la seule chose de bien dans la colonisation française a été ce que Kateb Yacine (littéralement l’écrivain Yacine) appelle son butin de guerre, en parlant de la langue française. Je les trouve tous deux bien magnanimes de chercher quoi que ce soit à sauver de l’héritage français. Et j’ai peur qu’ils se trompent.

Comme tous les butins, de guerre ou d’ailleurs, le français est un trésor aussi incontestable qu’il est inestimable de lourdeur à porter. Un cadeau de départ que l’on se traîne ensuite parfois un siècle et plus, et qui dans le cas du français fait perdurer les rapports d’inégalité entre un type comme moi le quidam de métropole et un prof de fac, mais surtout qui crée un vrai décalage entre le Marocain éduqué, lycée-francéisé, ou bien école-privéisé, et le Marocain parlant seulement sa langue, un Dérija (dialecte) qui, pour couronner le tout, ne s’écrit pas.

Parler la langue traditionnelle de l’élite, comme confisquer le texte, en faire un bien rare, réclamant un apprentissage d’érudit, ne correspondant d’ailleurs pas aux nécessité d’un peuple, était en France l’apanage de l’Eglise chrétienne jusqu’à l’apparition de l’imprimerie (et encore longtemps après) : le latin faisait texte, faisait loi, était la langue divine à laquelle personne ou presque n’avait accès.

Au-delà du problème posé par les restes à finir d’une langue coloniale, il serait temps que les arabes parlés puissent s’écrire, temps de rendre le pouvoir du texte aux populations, c’est-à-dire de construire une langue à part entière pour tout le monde.