Les camps de la Bekaa, par Filippo

9 septembre 2020

Temps de lecture : 2 minutes

Filippo est anthropologue et travaille sur la psychiatrie au Liban.

Par le biais d’une ONG qui s’occupe de santé mentale, explique-t-il, je vais dans les camps de réfugiés ou chez les gens, accompagné d’un assistant social. Parfois ce sont des gens qui étaient malades en Syrie et qui ont été sevrés de médicaments par la guerre. Beaucoup ont connu des épisodes psychotiques liés à elle. Beaucoup sont des femmes, qui vivent sans plus pouvoir sortir de chez elles, avec des hommes sans boulot, donc sans statut social, parfois violents, parfois qui ont connu les prisons syriennes, les tortures.

Un camp de réfugiés dans la Vallée de la Bekaa, Liban. Crédit Maurice Page

Filippo marque une pause.

Les Syriens ont peur au Liban. Peur d’être arrêtés, mis en prison. Nombreux depuis un an sont illégaux, car le renouvellement du statut de réfugié est devenu très compliqué.

J’ai ce cas par exemple d’un homme de 23 ans, mais enregistré cinq ans après sa naissance, qui va donc bientôt avoir officiellement 18 ans. Il est né d’une mère libanaise et d’un père syrien. Au Liban, la mère, pour des raisons électorales, ne peut donner la nationalité à l’enfant. La mère comme le père ont renié leur enfant, et c’est la grand-mère qui s’est occupé de lui. Mais la guerre éclate, la grand-mère meurt. Ses deux parents refusent de le recueillir. Il se met à se droguer.

Il nous raconte qu’un jour il va chez sa mère, oublie son sac chez elle et part avec le sac de quelqu’un d’autre. La police l’appréhende, il porte une fausse identité. Il fait un an de prison au centre de détention à Roumieh. À sa sortie, il s’en va trouver de l’aide dans les camps de la Bekaa.

Il y a trois semaines, il sort la nuit, se drogue, prend de tout ce qu’il trouve, du captagon, cette amphétamine très utilisée pendant la guerre en Syrie, du benzhexol, de l’alcool. D’une voiture descendent quatre hommes. L’un a un long couteau, l’entaille à la poitrine, comme s’il voulait dessiner une grande croix sur son torse, puis ils le jettent dans un fossé.

Un cousin éloigné vient le sortir de là. Comme ils n’ont pas de quoi payer l’hôpital, et qu’on est dimanche, ils laissent passer la journée. Le lundi ils appellent l’assistante sociale, qui découvre la plaie infectée, s’il n’est pas opérée il va mourir. Une bonne partie de la somme est couverte par l’ONG, mais reste encore 250 dollars à payer, qui peut prendre ça en charge ? A-t-il de la famille ici ? Finalement il est quand même opéré, sans qu’on sache qui a payé.

Une semaine plus tard, il se fait renverser par une voiture. Nouvelle opération, on lui met un clou dans la jambe. Il ne peut plus travailler, et reprend la défonce.

Filippo