Histoires vraies du Haut-Jura

Un bateau vers l’inconnu, par Bonaventure

5 décembre 2021

Temps de lecture : 4 minutes


Une histoire collectée en 2021.

 

Transcription de l’histoire audio

Alors moi c’est Bonaventure, je vis en dessous de Perpignan, dans un petit village. À peu près la moitié du temps dans le Jura et l’autre moitié dans le sud. À l’époque, je me promenais depuis déjà deux ans, comme ça, j’avais quitté Paris, j’avais laissé mon appartement à quelqu’un et puis j’étais parti sur les routes comme ça : SDF mais choisi. J’avais choisi d’être SDF parce que je ne pouvais plus vivre comme je vivais avant à Paris, des conditions que je ne pouvais plus supporter. Quelques espoirs qui étaient nés de 68 s’étaient effondrés, à part m’installer à Sainte-Anne, à l’hôpital psychiatrique, je voyais pas trop d’autres alternatives. Enfin finalement, j’en ai trouvé une : tout laisser et partir avec ma chemise sur les routes pendant quelques années.

Alors le bateau, c’est un moment où j’étais à Bordeaux. Pendant quelques jours, j’habitais dans un container en bordure de la Garonne, enfin de la Gironde. Une nuit, il y avait un gros cargo devant moi, et je me suis dit : « Tiens, pourquoi je monterais pas à bord du cargo avec ma boîte de thon, un croûton de pain et puis ma besace ? ». C’est une impulsion, voilà. Donc je suis monté dans le cargo, il y avait une magnifique locomotive ancienne. Je me suis caché dans la locomotive, en fait sous la locomotive. Puis quelques heures après, ça a commencé à balancer et j’ai compris qu’on était partis, qu’on était en mer quoi. On va faire avec, hein.

Je me suis caché pendant deux jours, personne m’a trouvé. Puis au bout de deux jours y’a un matelot qui m’a trouvé, puis de toute façon je n’avais plus rien à manger, ni rien. J’ai dû sortir de ma cachette, j’ai appris que c’était un équipage français et qu’on se dirigeait vers le bas de l’Afrique, le Dahomey, donc le Bénin. J’ai été bien reçu sur ce bateau, on m’a donné la cabine du pilote. Je ne pilotais pas grand chose à l’époque, même pas trop ma vie non plus d’ailleurs. Et voilà j’ai été avec les matelots et on me posait souvent des questions : « Mais alors tu es là pour écrire un bouquin ? ». Moi j’étais un peu embêté pour répondre, vu que je savais pas trop pourquoi j’étais là, sauf que j’étais monté à bord. Donc il y a eu quelques petits épisodes comme ça. À un moment en pleine nuit on était passés à côté d’une espèce de montagne de lumière. J’ai eu un petit peu envie de quitter le bateau et de rejoindre à la nage la montagne de lumière mais il y avait le commandement en second qui était à côté de moi qui m’a signifié qu’on avait l’impression qu’on pouvait toucher, ou que c’était tout près mais il m’a dit qu’il y avait 25-30 km. Alors ça m’a un peu refroidi parce que je nageais bien à l’époque, mais quand même 25-30 km, sauter du bateau… J’ai remis ça à plus tard. Cette montagne de lumière c’était les Grandes Canaries.

Je me suis donc retrouvé en Afrique, au Bénin, en prison puisque j’étais passager clandestin et que quand on arrive dans un port le passager clandestin descend du bateau et va en prison. Un moment sont arrivés une centaine de personnes avec des mitraillettes dans le dos parce qu’ils s’étaient révoltés, donc on était un peu serrés dans la prison. Avant on pouvait s’allonger sur les carreaux et après on était un peu à l’étroit. Bon enfin voilà, donc retour sur le bateau et puis pour le second port qui était au Togo, on m’a dit : « Bon alors, on vous envoie, on vous descend retourner en prison ou vous acceptez de rester là et de ne pas vous échapper ? ». J’ai dit : « Ok, je reste, c’est bon ». Résultat des courses, je me suis retrouvé un mois et demi après à Dunkerque. Alors mon périple, ça a été Bordeaux-Dunkerque avec quelques petits épisodes comme ça sur un mois et demi.

À Dunkerque, je ne savais pas quoi faire. Je suis allé travailler pour la première et la dernière fois de ma vie dans une usine de de fer, Usinor. Le sale boulot, dans les cuves où on coule l’acier, fallait nettoyer ça. Donc je dormais sur la plage, dans un camping. Au bout de trois mois de ce régime-là, je me suis dit : « Quand même, il faut changer maintenant un petit peu », parce que ça faisait quand même deux ans/deux ans et demi que j’étais déjà sur les routes. Je me suis dit : « Tiens, si j’allais prendre mon chômage dans le Midi ? ». Ah bah oui quand même ! Paraît que c’est mieux au soleil le chômage, donc je me suis retrouvé dans le Midi et progressivement j’ai lâché ma vie de bohème pour m’installer de façon très rudimentaire. Finalement, j’ai redonné des nouvelles à mes anciens amis avec qui j’avais coupé les ponts : ma famille, d’anciens amis puisque. J’avais fait tout ce périple de 3 ou 4 ans sans donner des nouvelles à qui que ce soit. J’ai fini par redonner des nouvelles puisque j’ai vu mon nom dans Libération, à l’époque on pouvait écrire dans Libération. Et puis je vois un truc : « Où es-tu avec ta mobylette bleue »… et tout. Qu’est ce que c’est cette histoire ? Signé : Monique et tout. C’est marrant, mobylette bleue, il y a quelques années j’ai fait le tour de la Corse en mobylette bleue. On avait chacun une mobylette bleue avec Monique. Au bout de deux-trois mois, j’ai envoyé une carte postale à Monique en disant que j’étais à Montpellier. Ce qui fait que je suis revenu à une vie un petit peu plus sociable. Et Monique, elle m’a visité et c’était bien la Monique que j’avais connu, que j’avais fréquenté de près il y a plusieurs années et avec qui nous avions d’ailleurs joyeusement participé à mai 68. Voilà, des choses un petit peu étranges mais ça arrive. Ça faisait trois ans et demi, presque quatre ans que personne n’avait de nouvelles de moi et puis quand j’ai quitté Paris, paraît que j’avais des comportements un peu étrange. Je me promenais avec un fusil harpon dans les rues, bon enfin voilà, je devais être un petit peu susceptible ou je ne sais pas quoi.

Bonaventure