Histoires vraies du Haut-Jura

Le pain voyageur, par Marion

5 décembre 2021

Temps de lecture : 4 minutes


Une histoire collectée en 2021.

 

Transcription de l’histoire audio

Je m’appelle Marion et j’habite à La Pesse. Je voulais raconter l’histoire d’une de mes amies qui s’appelle Chloé, et Chloé on se connaît depuis le lycée, depuis qu’on a 15 ans. Donc ça commence à devenir une copine de longue date quand même. On va fêter nos trente ans en début d’année prochaine, on se suit depuis tout ce temps et on a toujours été un peu en parallèle, même après le lycée. On est un peu des des enfants de la génération Erasmus : c’est un hasard parce qu’on est parties dans des études différentes, dans des villes différentes, mais on s’est retrouvés ensemble pendant nos études à Hambourg en Erasmus. Ensuite, moi je suis partie faire un service volontaire européen en Pologne et elle, elle a décidé suite à mon expérience de partir en Sicile. Chloé c’est quelqu’un qui a toujours eu une grande passion pour l’histoire, le patrimoine, la culture. Elle a fait ses études là dedans à Lyon, elle a fait un master et pendant son master elle a rencontré Enrico.

Enrico le Sarde, Enrico pour l’instant l’homme de sa vie et je pense que Chloé a fait pas mal de choix aussi pour Enrico, malgré sa passion et sa vocation. Ce qui fait qu’à l’époque où moi je suis partie en Pologne, elle est partie en Sicile faire son service volontaire. Ça a été un peu une claque pour elle parce qu’elle s’est vue partir non seulement dans le pays de son amour, mais aussi ce qui lui semblait être le pays de la culture, l’Italie est un pays riche de son patrimoine mais où malheureusement les finances ne sont pas toujours là pour soutenir des initiatives de maintien du patrimoine etc. Elle a dû trouver un peu sa place là-dedans, ça a été très difficile de s’intégrer et en même temps elle ne voulait plus quitter le lieu et l’amour qu’elle avait rencontré là-bas. Malgré le fort attachement qu’elle a pour la culture française et tout particulièrement pour son Jura, son Macvin. Alors, elle est jurassienne pure souche, on s’est rencontrées au lycée à Salins-les-Bains et elle est des environs de Arbois. Donc elle aime son Macvin, elle aime son morceau de comté, elle le défend corps et âme où qu’elle soit sur la terre. Ça ne l’empêche pas de l’aimer à distance.

Elle a dû trouver un peu sa place pour rejoindre Enrico parce qu’elle a dû abandonner son service volontaire en Sicile, ça se passait vraiment trop mal. Elle a essayé de trouver sa place à Milan, qui est une grande ville, qui est une ville où tout va vite, qui est une fois de plus très différent des Planches-près-Arbois, un petit bled de 80 âmes à côté de Arbois, c’est dire. Elle a vraiment galéré à trouver ce qu’elle voulait faire de sa vie et elle a dû aller de petits boulots en petits boulots pour pouvoir un peu vivoter et rester auprès de son amoureux, jusqu’à ce qu’il y ait le confinement et qu’ils se rapatrient dans sa Sardaigne natale à lui, endroit où il avait toujours voulu revenir : les Sardes sont Sardes avant d’être Italiens, c’est clair. Pour lui, il était hors de question qu’il reste toute sa vie à Milan et donc ils sont allés se réfugier là-bas et elle a commencé à faire du pain, comme beaucoup de gens pendant le confinement. Elle s’est dit : « Ah ouais c’est sympa le pain ! C’est aussi tout une culture, tout un patrimoine, c’est aussi toute une histoire ! Ça me plaît de faire ça ! ». Elle a commencé à se questionner parce qu’entre temps, le job alimentaire qu’elle avait trouvé c’était dans la pub de luxe, dans une grosse boîte, une grosse agence milanaise. Elle commençait à avoir un petit peu deux mondes bien distincts dans lesquels elle arrivait difficilement à créer du lien et elle nous a appelées, on a une bande de copines quand même.

Elle nous a dit : « Ouais je crois que je vois plus de sens dans ce que je fais, moi je voulais faire de la culture et puis là je me retrouve à vendre des pubs pour Gucci tandis que le pain j’aime ça, je vois ce que je fais de mes mains je crée je pétris quelque chose. Je produis quelque chose avec des céréales qui ont poussé près de chez moi, ça fait du sens. ». Et du coup je lui ai dit : « Mais tu sais à la Pesse, juste à côté de La Pesse, il y a une boulangère. Elle travaille avec des paysans et elle fait un pain délicieux ! Elle s’appelle Florence et elle aurait peut-être envie de te faire un cours comme ça. Les Jurassiens ils sont ouverts, ils sont sympas, ils aiment bien quand d’autres Jurassiens viennent voir des trucs ». Elle me dit : « Ah ouais c’est vrai. Bon je suis en Sardaigne, c’est compliqué mais je vais venir ! ». Et il y a une semaine, elle est venue faire une nuit de boulange avec Florence et ça s’est super bien passé. Et Chloé elle s’est dit : « Non mais clairement, clairement ça c’est un truc qui me porte et je crois que j’ai envie de faire ça ! ». Elle a discuté avec  Florence qui lui a dit : « Ben écoute, si tu veux, à partir du mois de juillet, tu peux venir pendant trois semaines dans mon four à pain travailler avec moi, apprendre à panifier avec moi. »

Et je trouve ça super que quelqu’un qui se sent des racines jurassiennes, mais qui se sent aussi pousser des ailes en Sardaigne se dise : « Je vais revenir dans mon Jura, je vais apprendre à faire du pain parce que ça me parle et je vais apporter ce petit morceau de Jura avec moi en Sardaigne ». Et un petit morceau de Florence va la suivre en Sardaigne. Je trouve que c’est aussi un des aspects de notre Haut-Jura hyper rural où en fait il y a des gens incroyables qui font des trucs incroyables, et qui restent. Il y a aussi d’autres personnes qui apprennent à faire des choses et qui partent avec un savoir-faire, une culture, un patrimoine. Je trouve que Chloé elle illustre super bien ça, et je suis hyper fière qu’elle vienne dans le Haut-Jura pour apprendre un peu de ça, elle aurait pu l’apprendre en sardaigne, certes, mais elle fait quand même ce choix de revenir sur sa terre natale et je trouve ça beau. Voilà, ça c’est l’histoire de Chloé.

Marion