Histoires vraies du Haut-Jura

Exploitée par la reine mère, par Marilou

5 décembre 2021

Temps de lecture : 7 minutes


Une histoire collectée en 2021.

 

Transcription de l’histoire audio

Je voulais te raconter une histoire qui m’est arrivée il y a quelques années, à l’époque je vivais encore en camion avec mon homme et on était saisonniers. Donc on se déplace un peu partout en France pour faire les fruits, les vignes, tout ça. On est restés un petit moment à Bourg-Saint-Andéol dans la Drôme, et là-bas j’ai une copine à moi qui m’a présenté une dame qui était peintre et qui était l’ex-femme du préfet de l’Ardèche. Elle avait un gîte immense et elle cherchait quelqu’un pour s’occuper du gîte. Je savais pas dans quoi je m’embarquais.

Donc du coup, j’ai travaillé pour elle tout l’été 2015. Déjà c’était au black et en plus elle me payait au SMIC quoi, c’était carrément de l’exploitation mais j’ai mis un petit moment avant de m’en rendre compte. Donc en fait le gîte était immense, c’était une ancienne baraque qui était très vieille et moi j’étais toute seule pour m’occuper des lits, des chambres, le ménage, il fallait que je serve le petit déj’, que je prépare le petit déj’. Fallait que je débarrasse, que je fasse la vaisselle, fallait que je fasse la bouffe à eux, le ménage à eux, la lessive : fallait que je fasse tout. Je sais pas y’avait des étages avec une dizaine de chambres et j’étais toute seule, au noir. Mais j’avais tellement besoin d’argent que… Et j’avais pas de RSA encore à l’époque donc c’était tout ce que j’avais comme revenu. Je bossais, j’avais compté mes heures au bout d’un moment, je faisais au moins 70 heures par semaine. À un moment j’ai commencé à lui dire : « Michèle, je travaille trop. Et puis tu me payes pas assez quoi ! ». Elle a quand même eu le culot de m’imprimer la valeur du SMIC actuel en me disant : « Tu vois je te paye pile au SMIC ». Je lui ai répondu : « Mais Michèle je suis au noir,  tu te rends pas compte… ». Donc c’était déjà en soi super compliqué à vivre parce que j’étais épuisée, et au bout d’un mois je suis allée voir le docteur parce que j’étais malade, j’avais une bronchite en plein mois d’août et je te raconte pas… la température qu’il faisait sous les toits dans les chambres ça devait être dû 45°C quoi. Quand je devais faire les lits, changer les lits…  L’horreur.

Donc je suis allé voir un toubib, j’ai quand même réussi à les convaincre qu’il fallait que je vois un médecin au bout d’un moment. Le mec m’a clairement dit : « Vous êtes en surmenage ». Ouais, mais moi je voulais pas arrêter parce que d’une part j’avais besoin de l’argent et en même temps je me sentais un peu coupable parce qu’en fait tout reposait sur moi. Genre le gîte, c’est moi qui le faisait tourner parce qu’elle, elle avait 80 ans, elle était infirme. Elle était vraiment dans un sale état de santé, elle avait son mari qui avait 60 ans, c’était assez bizarre leur relation. Enfin je sais pas, il y avait un côté un peu gigolo tu vois c’était chelou. Et elle, ça avait été une peintre qui avait eu vachement de succès, elle avait une grande galerie avec toutes ses peintures qui étaient affichées et accrochées au mur. Ça avait bien marché, même à l’international et tout. Moi je trouvais ça vraiment moche, c’était vraiment hideux, c’était super moche. Limite glauque.

Je vivais en camion avec mon copain à quelques kilomètres mais lui voulait que je dorme au gîte. J’ai un peu renaclé quoi mais finalement j’ai accepté de dormir là-bas, pas forcément tout le temps. À la base il y avait une chambre de bonne à l’étage, c’était la chambre des gens qu’ils faisaient bosser pour eux. C’était sous les toits, il y avait les fenêtres qui étaient scellées, elles étaient tellement vieilles que tu pouvais pas les ouvrir. Il n’y avait pas de climatisation, je crois qu’il devait à 50° C dans cette pièce. Donc je leur ai dit que je ne pouvais pas et elle m’a dit de dormir dans son ancien atelier, au rez-de-chaussée. C’était déjà un peu mieux, sauf qu’il y avait des nids de frelons dans l’atelier. Du coup je me suis fait piquer deux fois quand même et je suis pas allergique ni rien mais j’avais des vertiges, j’ai cru que j’allais tomber dans les pommes : le truc hyper virulent. Franchement c’était vraiment bizarre comme sensation. Il y a une fois c’était au bord de la rivière puisqu’il y avait la rivière à côté et j’aimais bien y aller avec mes chiens, c’était cool. Je me suis fait piquer là-bas, j’étais toute seule tu vois. J’étais au bord de la rivière avec mes chiens, il y avait personne, je me suis fait piquer vers la clavicule, vers le cœur. J’ai vraiment eu peur, j’ai commencé à avoir la tête qui tournait, je me sentais toute faible. C’était trop bizarre.

Elle me demandait de nettoyer la terrasse aussi, je me rappelle il y avait une terrasse extérieure. En fait, là, c’était bourré de frelons : il y en avait partout. Donc j’ai fait deux pas dans le truc et je suis ressortie, j’ai fait : « Michèle, je peux pas nettoyer ça quoi ! C’est bourré de frelons ». Et elle était tout le temps à minimiser tout, je l’appelais la reine mère. C’était un vrai tyran cette bonne femme. Franchement, elle m’a épuisée. Alors le truc qui a fini de m’achever dans un sens, c’est que je crois que le truc était hanté. C’est-à-dire que là où je dormais, il y avait ses chevalets avec des peintures et tout. Et en face de mon lit, c’était un lit de camp, il y avait l’un des derniers tableaux qu’elle avait peint, en abstrait. Et d’ailleurs, tout ce qu’elle avait peint à la fin de sa vie en abstrait était magnifique. Tout ce qui était figuratif était nul à chier donc j’adorerais ses peintures abstraites. À chaque fois que je me réveillais le matin, il était retourné à l’envers sur le chevalet. Déjà ça. Sinon, quand j’allais faire le linge, j’avais la porte du sèche-linge qui s’ouvrait toute seule. Quand j’allais à l’étage, il y avait une chambre où il y avait un coffre en bois, et à chaque fois que je montais dans cette chambre, je repoussais le coffre contre le mur parce qu’il était décollé du mur. À chaque fois j’y allais, je le repoussais contre le mur, et c’était quelque chose qui était super lourd, rempli de fringues et personne n’y allait, parce qu’elle ne pouvait pas monter les escalier et le vieux Édouard n’y allait pas. Et à chaque fois que je remontais dans cette chambre pour faire le ménage, faire la poussière, le coffre était décollé du mur, toujours dans la même position. Je me suis jamais sentie menacée mais c’était une ambiance qui était vraiment strange et en même temps le bâtiment ils avait 500 ans je crois donc ça m’étonnerait pas qu’il y ait des esprits ou des gens qui soient morts dedans. C’était pas un truc menaçant mais c’était clairement présent quoi. Donc ça a fini de me perturber. Je ne leur en ai pas parlé, je sais pas pourquoi, après je sais pas si c’est moi qui suis sensible à ce genre de trucs et je pense que les gens ils n’ont pas envie de réfléchir à ce que ça implique, ils préfèrent ne pas s’attarder dessus.

J’ai appris plus tard par des gens, on avait des potes qui vivaient dans le coin, qu’en fait pour ce gîte, ils voyaient tout le temps au Pôle Emploi du coin des annonces pour des femmes de ménage. Ils disaient, généralement c’était tous les mois. En fait là-bas, je m’étais bien liée d’amitié avec le jardinier et elle, elle était vraiment mauvaise tu vois. À un moment, je sais plus comment elle m’avait sorti ça, genre « si t’es pas contente, tu vois tu peux partir », et je lui avait dit : « Bah ok Michèle, je m’en vais, tu te retrouveras en plein mois d’août à devoir gérer le gîte toute seule. Il n’y a pas de problème, je me casse. ». J’avais continué avec mes draps dans les bras et tout, parce que je savais très bien qu’elle ne pouvait pas se passer de moi. Là ça avait pas loupé, elle était venue me courir après en me disant : « Eh ! Ne le prends pas comme ça,  comment tu me parles ». Je lui disais « mais Michèle, sérieux quoi… ». Mais tu vois j’avais un côté un peu… c’était vachement bizarre parce que d’un côté, je savais tout ce qu’ils me faisaient et tout, mais d’un autre côté tu vois elle était vieille, elle était malade, elle était amère. Je m’étais dit : « je vais lui prouver à cette vieille bique qu’elle peut pas gicler tout le monde ». C’est ce que m’a effectivement dit le jardiner : « Parmi tout le monde, t’es une de celles qui est restée le plus longtemps, donc la laisse pas te faire croire que tu fais un mauvais boulot parce que si tu es encore là, c’est que tu fais du bon boulot et que tu es solide. Parce que moi, j’en ai vu combien craquer, se mettre à pleurer et puis partir et jamais revenir au bout de deux semaines, une semaine. ». Et moi dans ma tête, je m’étais dit : « Je vais lui montrer qu’elle peut pas écraser tout le monde, que tout le monde va pas craquer devant elle. ». Qu’elle n’a pas ce pouvoir là en fait. Je m’étais un peu donné ça comme objectif.

Mais dans un sens ça m’a un peu bousillé, j’ai mis des mois à m’en remettre : j’étais vraiment épuisé. C’était psychologique et physique, elle m’insultait, elle me traitait de conne parce que je ne savais pas ouvrir le portail alors qu’elle m’avait jamais montré où était le bouton. Tu vois, ce genre de vieille mégère là, qui est pétée de thune et de pouvoir, qui croit qu’elle peut écraser tout le monde. Mais moi ça m’a appris plein de choses après ça, je me suis dit que je me laisserai plus jamais faire comme ça dans un boulot, même si j’en ai besoin. Ça m’a appris à me dire : « là tu vois, t’as quand même été vachement trop sympa avec elle ». J’ai pris ce que j’avais à prendre aussi tu vois, j’ai essayé de relativiser. L’un dans l’autre, ça a été une expérience intéressante, ça a duré que trois mois mais voilà…

Marilou