Histoires vraies du Dedans

L’œil du diable, par Radu

27 novembre 2021

Temps de lecture : 2 minutes

Cette histoire est tirée du volume 1 des Histoires vraies du dedans dans le cadre des ateliers menés en 2015-2016 dans les centres pénitentiaires des Baumettes à Marseille et Toulon-La Farlède, le centre de détention de Tarascon et à la Valentine, dans l’établissement pénitentiaire pour mineurs.


Ce que je raconte, c’est en 1992. J’avais un beau-frère qui travaillait chez un prêtre, par chez nous. Il lui construisait sa maison. Ce prêtre, l’État roumain lui avait alloué de l’argent pour la construction d’une grande église pas loin de là. Mon beau-frère a vu cet argent. Et autrefois, on faisait une collecte, tu donnais 1 leu, il donnait 1 leu, ça faisait de l’argent qui s’amassait et il avait une grosse somme d’argent. À l’époque on pouvait compter en milliards, pour construire une église. Il me parle de cet argent. L’argent, pour moi et n’importe qui, c’est l’œil du diable, comme on dit en Roumanie, ça te tourne les sangs. J’oublie de dire qu’en partant de Constanţa, en chemin, j’avais acheté plein de poissons aux pêcheurs de Giurgeni, vu que j’ai plusieurs sœurs et qu’on est aussi plusieurs frères, du poisson pour toute la famille. J’ai fait des paquets pour chacun d’eux et je suis arrivé chez cette sœur dont le mari a vu tout cet argent. Je raconte tout ça parce que c’est cet argent qui a gâché toute ma vie. Si l’histoire était triste jusqu’à présent, là, elle devient très triste.

Je suis parti jusqu’à cette maison, où habitait ce prêtre, pour prendre l’argent qui se trouvait là-bas. La rumeur circulait dans le quartier qu’il y avait plusieurs candidats au cambriolage de cette maison. Ça je l’ai su quand je me suis retrouvé en prison, car je me suis retrouvé en prison pour ça.

On saute par-dessus la clôture, vous imaginez comment on fait. Nous voilà dedans, et dès qu’on ouvre une première porte, voilà l’homme qui bondit, bien réveillé ! Le prêtre, un prêtre très haut, très grand, très bien nourri, qui mangeait à toutes les pannikhides. Quand on tombe sur un tel homme et qu’il est chez lui, et qu’on est un gosse, 21-22 ans, on se demande : « Je lui fais quoi à ce type ? ». Il est grand, on se dit : « Il va me frapper ». Alors j’ai frappé le premier. Il est tombé, je me suis jeté dessus. J’avais un foulard autour du cou, je l’ai pris et je le lui ai mis autour du nez, de la bouche, tout autour, pour qu’il crie pas. Et le curé est mort. Sur le moment, on ne savait même pas qu’il était mort. On s’est dit : « Il s’est évanoui, il est terminé, laisse le donc là ». Mais bon, où sont les sous ? On entre dans la pièce, on ouvre la valise que mon beauf avait vu. Figurez vous qu’il n’y avait pas l’argent dont tout le monde parlait. Il n’y avait que peu d’argent, 100 000 lei. À cette époque là, c’était très peu d’argent. On a tué cet homme pratiquement pour rien. Pour de l’argent qui n’était pas là.

Radu, Tarascon 2015. Traduit du roumain par Laure Hinckel.