Histoires vraies du Dedans

La Marocaine, par Kamel

27 novembre 2021

Temps de lecture : 2 minutes

Cette histoire est tirée du volume 1 des Histoires vraies du dedans dans le cadre des ateliers menés en 2015-2016 dans les centres pénitentiaires des Baumettes à Marseille et Toulon-La Farlède, le centre de détention de Tarascon et à la Valentine, dans l’établissement pénitentiaire pour mineurs.


J’ai connu une fille au Maroc. Elle avait 15 ans et demi. Elle m’a plu. Alors j’ai pris son nom, une photo, sa date de naissance et je suis allé en Algérie. Je lui ai fait une carte d’identité, un passeport. J’ai embarqué ses papiers. Elle, à ce moment-là, elle est encore au Maroc. Je lui fais des papiers algériens donc, et je suis retourné la voir au Maroc. J’ai fait tamponner son nouveau passeport comme si elle avait passé la frontière. Un cachet du Maroc et un cachet de l’Algérie.

Après je l’ai amenée avec moi en France. Elle est restée avec moi environ un an. À l’époque, j’avais un employé, un chauffeur, il était Français. Je lui ai demandé de se marier avec elle pour les papiers. Il a accepté, ils ont signé à la mairie, et elle a fait ses papiers mais c’est avec moi qu’elle vivait. J’ai eu une fille avec elle en 92 et… en 94. Fin 94, je me suis retrouvé en prison. Trafic de voitures. Elle, elle continuait à travailler avec moi. Ensemble, on emmenait des voitures. On les faisait entrer au Maroc. En Algérie. 205, Mercedes, BM, ça, ça, ça… Toutes les marques. Mais voilà, un jour elle se fait pincer à Perpignan, elle est arrêtée, et là elle me fait un coup de pute. Elle rencontre un policier et elle tombe amoureuse de lui. Lui aussi tombe amoureux. (…) Quand je suis sorti, elle avait changé. Elle sortait avec lui. Du coup je l’ai prise et l’ai emmenée au Maroc. Alors, je lui ai enlevé ses papiers. Plus de passeport. Plus de carte d’identité. Rien. Et elle est restée là-bas. Elle a essayé de m’attendrir, je ne pouvais pas me le permettre, si je la reprenais avec moi son copain policier il ne me lâcherait pas. Je me suis dit : « Laisse tomber cette fille ». Sa sœur et son beau-frère sont même venus me voir ici en France : « Allez, change d’avis, réfléchis bien ». Je leur ai dit : « C’est non ». Et voilà c’est tout.

Je ne l’ai plus revue depuis, ni elle, ni la fille, ni le garçon. Mes deux enfants je ne les ai pas revus. Ils doivent avoir 22-23 ans… Plus de nouvelles. Je ne sais rien d’elle. Est-ce qu’elle est au Maroc, en France ? Elle s’est mariée ? J’en sais rien.

Je ne suis pas retourné au Maroc depuis 95. Ils ont fermé la frontière. Après j’ai travaillé ici en France. En plus, j’ai connu une autre femme. Et voilà l’histoire est finie.

Kamel, Toulon 2016. Traduit de l’arabe par Lotfi Nia.