Histoires vraies du Dedans

On finit tous par grandir, par Radu

6 novembre 2021

Temps de lecture : 2 minutes

Cette histoire est tirée du volume 1 des Histoires vraies du dedans dans le cadre des ateliers menés en 2015-2016 dans les centres pénitentiaires des Baumettes à Marseille et Toulon-La Farlède, le centre de détention de Tarascon et à la Valentine, dans l’établissement pénitentiaire pour mineurs.


J’étais un enfant de 10 ans, quatre sœurs, trois frères, et puis l’aîné est mort. Papa nous aimait énormément. Six mois plus tard, il est mort à son tour. À partir de ce moment, la famille a changé. Quand le chef de famille, le père, n’est plus là, la famille se brise, c’est quelque chose de douloureux, quelque chose de grave. Juste après la mort de mon frère, papa avait commencé à toucher à la bouteille. Quand il laissait la bouteille, on le retrouvait au cimetière, sur le caveau, au chevet de mon frère : « Allez, tu fais quoi, tu viens pas à la maison ? ». J’aurais voulu parler encore avec lui. Mais en moins de six mois, il est mort lui aussi. Je suis un des plus jeunes ; je suis resté avec mes sœurs qui étaient mariées. 10 ans ! Que faire à 10 ans ? Tu vas à l’école. Mais tu veux aussi mettre quelque chose sur la table. Maman, âgée… Je me suis mis à chaparder. J’allais à l’école, mais je chapardais aussi. Que voler à 10 ans ? Pas seulement des cerises, je dois avouer.

On habitait quelque part à la campagne, quelque part près d’Urziceni. Il y avait des fermes, des élevages de porcs, de bétail. J’y allais et je piquais ce que mangeaient les porcs : du son, des trognons de maïs broyés, et je vendais ça. Des sacs comme ça, ça coûtait 100 lei, une somme à l’époque. On pouvait manger avec ça. C’est une histoire triste. Peut-être que certains qui ont réussi peuvent rigoler de ce que je raconte. Ils peuvent se moquer.

Bon, petit à petit j’ai fini par grandir, comme cela arrive à chacun d’entre nous. Je suis arrivé à l’âge de 16 ans. À l’âge de 16 ans, à l’époque du communisme, sous Ceauşescu, je ne pouvais pas travailler, prendre un emploi. Si un cousin ou un parent s’avisait de me prendre avec lui pour travailler et qu’il m’arrivait quelque chose, c’était lui qu’on rendait responsable. Mais j’ai quand même travaillé. Ayant un beau-frère qui travaillait dans le bâtiment, je suis parti dans une ville, une grande et belle ville : Timişoara.

Dans mon village, la plupart d’entre nous, nous travaillons dans le bâtiment. C’est comme le village de Bolintin, c’est pareil. On était donc une équipe de gars de Bolintin et une autre de chez nous. On construisait des usines.

Radu, Tarascon 2015. Traduit du roumain par Laure Hinckel.