Histoires vraies du Dedans

Les jumeaux, par le Paysan

6 novembre 2021

Temps de lecture : 2 minutes

Cette histoire est tirée du volume 1 des Histoires vraies du dedans dans le cadre des ateliers menés en 2015-2016 dans les centres pénitentiaires des Baumettes à Marseille et Toulon-La Farlède, le centre de détention de Tarascon et à la Valentine, dans l’établissement pénitentiaire pour mineurs.


J’ai choisi une histoire de mon enfance, une histoire authentique.

Je suis né avec une sœur jumelle. Depuis notre naissance, ma sœur et moi, nous n’avons pas réussi à nous entendre. On se chamaillait, on se battait, on se menaçait… Nos parents devaient jouer les arbitres entre nous. Il fallait en permanence quelqu’un entre nous pour éviter le pire. Donc, ça a été la détestation au premier regard.

Le temps a passé, nous avons grandi, mais à 5-6 ans, les petits enfants que nous étions, rien à faire, ne s’entendaient pas. Elle ne tolérait pas et je ne tolérais pas non plus. Les parents nous ont séparés. Ils ne pouvaient plus poursuivre leurs activités normales, comme aller travailler, puisqu’ils ne pouvaient pas nous laisser seuls. Les fois où ils ont essayé, ils m’ont retrouvé amoché, écorché, ou elle, ou avec la tête ouverte. Impossible de nous laisser seuls. Donc ils nous ont séparés. Ils m’ont amené chez les parents de papa, dans une autre ville, et elle, ils l’ont gardée à la maison.

La haine s’est décuplée. De mon côté, cette fois-ci. Je ne la supportais plus du tout : je me disais qu’ils l’aimaient plus que moi, puisqu’ils la gardaient près d’eux.

J’attendais donc de grandir pour prendre ma revanche sur ma sœur. À cause d’elle, mes parents me rejetaient, ils laissaient aux grands-parents le soin de m’élever. Voilà ce que j’avais en tête, dans ma tête d’enfant, et je ne réalisais pas qu’ils nous avaient séparés pour éviter que quelque chose de grave ne nous arrive, que je ne la tue ou qu’elle me tue ou que l’un de nous ne se retrouve infirme à la suite d’une dispute… Nos parents avaient pris une juste décision.

Les années sont passées et nous avons grandi. Elle s’est mariée, assez jeune, à 18 ans à peine. Jusqu’alors, nous nous voyions très rarement et encore, en présence des parents ou des grands-parents. Elle s’est donc mariée et je suis allé aux noces – il y a chez nous des traditions très belles autour des mariages et je n’allais pas manquer ça.

C’est alors qu’a germé en moi un sentiment de grand amour pour ma sœur. La haine que je ressentais depuis tout petit, à partir du moment où le prêtre l’a couronnée devant l’autel1, s’est transformée en un sentiment de véritable amour. Lorsqu’elle a atteint l’âge de 18 ans, elle m’a fait cadeau d’une montre, que je porte encore aujourd’hui : une montre russe, de marque Racheta. Le jour de son mariage marquait le début d’une vraie amitié et nous sommes devenus enfin de vrais frère et sœur. Nous sommes devenus frères et sœurs à l’âge de 18 ans ! Avant, nous étions des ennemis qui se haïssaient à mort.

Elle a fait des études, elle est devenue assistante médicale, elle a poursuivi et elle est devenue médecin généraliste.

Cette montre est aujourd’hui très vieille et je la garde à sa mémoire, car elle est morte à l’âge de 42 ans seulement.

 

1 : Selon le rite du mariage orthodoxe.

 Le Paysan, Marseille 2015. Traduit du roumain par Laure Hinckel.