Histoires vraies du Dedans

Et le couteau est resté dans la cuisse, par Alexandru

6 novembre 2021

Temps de lecture : 3 minutes

Cette histoire est tirée du volume 1 des Histoires vraies du dedans dans le cadre des ateliers menés en 2015-2016 dans les centres pénitentiaires des Baumettes à Marseille et Toulon-La Farlède, le centre de détention de Tarascon et à la Valentine, dans l’établissement pénitentiaire pour mineurs.


Je m’appelle Alexandru, je suis allé à l’école jusqu’en 9ème. J’ai bien commencé le lycée, la 10ème, mais au bout de deux mois, en rentrant à la maison avec un copain et avec plusieurs autres, j’ai eu une dispute avec trois garçons. Je me suis fâché, j’ai téléphoné à un collègue, on est allés en ville, j’ai acheté un couteau et un spray. À mon retour je l’ai placé dans mon pupitre, le couteau, j’ai donné le spray à mon collègue, et on a dit comme ça : « Dans les couloirs du lycée, tu te mettras derrière l’autre, tu lui enverras le spray dans la figure et moi j’aurai qu’à enfoncer le couteau ». Ce que j’avais prévu de faire, je l’ai fait. On est sortis dans le couloir, il faisait noir, on a coincé les trois : tout le monde était sorti à part nous. On les a coincés, je lui ai enfoncé mon couteau dans le corps, je les ai frappés… Un, je l’ai tailladé au bras, l’autre dans le ventre, le troisième à la jambe et mon couteau est resté planté là. Le type est tombé dans le coma. Moi, j’ai pris mon sac, je suis rentré chez moi, j’étais contrarié, mes parents m’ont demandé : « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Il y a un truc qui cloche ? ». J’ai répondu : « Il ne s’est rien passé » ; « Allez, dis-nous », et je sais plus quoi encore et j’ai redit qu’il ne s’était rien passé. Après, j’ai dit à maman « Maman, j’ai fait une connerie, je suis pas allé à l’école », elle m’a disputé. Je ne lui ai donc pas tout dit. Puis tout le restant de la semaine je suis resté à la maison, j’ai travaillé avec mon père, et au bout de deux semaines, la police est venue chez nous. « Monsieur S., veuillez vous présenter au procès » et je sais plus quoi. J’y suis allé, j’ai dit ce que j’avais à dire, et il ne s’est rien passé. Je suis rentré à la maison, mes parents me sont tombés dessus pour que je retourne à tout prix à l’école, j’ai dit que non, pendant une semaine je suis encore resté à la maison… Deux semaines après la première visite de la police, ils sont revenus pour m’arrêter. J’ai fait trois mois de détention provisoire. Du coup, j’étais drôlement en retard avec tous les devoirs, dans toutes les matières. Les professeurs m’ont dit que je devrais passer des examens, vu que j’avais pas la moyenne… Il restait trois semaines jusqu’à la fin du semestre.

Durant ces trois semaines j’ai tout, tout appris et j’ai eu la moyenne partout pour passer au semestre suivant. C’était le contrat que le juge m’avait mis entre les mains si je voulais rester en liberté. Pendant trois ans, chaque mois j’allais signer le registre au poste de police puis au bout de ces trois ans j’y allais tous les trois mois pendant un an et demi et au bout d’un an et demi, je suis parti en France. J’ai volé, je sais pas quoi, et je me suis retrouvé en prison, où je suis aujourd’hui.

Vous savez, quand on commence l’année, chacun cherche ses “grades”1. Vous savez ce qu’on m’a fait ? On a insulté mes morts. Or j’ai une sœur qui est morte. Ça a été suffisant. Si on me dérange, je dérange en retour trois fois plus.

1 : Les “repères”, dans la hiérarchie officieuse des gros bras.

Alexandru, Tarascon 2016. Traduit du roumain par Laure Hinckel.