Histoires vraies du Dedans

Une robe pour ma mère, par Radu

16 mai 2021

Temps de lecture : 3 minutes

Cette histoire est tirée du volume 1 des Histoires vraies du dedans dans le cadre des ateliers menés en 2015-2016 dans les centres pénitentiaires des Baumettes à Marseille et Toulon-La Farlède, le centre de détention de Tarascon et à la Valentine, dans l’établissement pénitentiaire pour mineurs.

 

La ville de Braşov, en Roumanie.

Cela faisait un mois que j’étais parti. La nuit, je pleurais après ma mère, quand je me mettais au lit, sans que les autres me voient. Maman est vieille, actuellement elle a 90 ans. Mais moi, je suis là où je suis, et elle, elle pense à moi pendant que je pense à elle.

Aujourd’hui j’ai deux fils. Ici il y a un nom [il montre un tatouage] c’est celui de mon dernier, il s’appelle Ninel, sur mon bras gauche. Sur mon bras droit, Claudiu, mon fils aîné. Ils sont déjà grands, 21 ans le petit, 24 ans le grand. Le grand, je veux vous dire, ce n’est pas n’importe qui, c’est un chanteur, un bon chanteur, qui est bien connu dans l’ouest du pays, à Braşov, il s’appelle Claudiu de Buzău. Il gagne sa vie. Être chanteur, en Roumanie ça te donne une valeur, je crois. Il peut dire « Papa est un voleur mais moi je suis un chanteur, je vaux quelque chose à côté de lui, non ? ». Ce n’est pas pour me rabaisser, mais je rends à César ce qui est à César, c’est normal.

Il y avait une très grande foire, un marché, à Timişoara. Ça s’appelait Oatchko. Celui qui s’achetait un jean ou des vêtements comme ça, c’était quelqu’un, c’était tout nouveau. Et à l’époque il y avait ce qu’on appelait des bişniţari1: ils achetaient des jeans, les vendaient avec un petit profit, ça s’appelait faire bişniţă.

Timişoara, en Roumanie.

Mais moi je croyais que j’étais plus vechiuri2 qu’eux.

Ils avaient une table, ils posaient dessus des tas de jeans, ils vous montraient le vêtement « Tu veux çui-là ? J’te vends çui-là », tu l’essayais, mais au dernier moment, derrière, ils te fourguaient autre chose, un jean avec la jambe coupée, déchirée.

Moi, ben, moi, j’ai mordu à l’hameçon, comme on dit. Et me voilà rentré à mon foyer de travailleurs. Là, je me rends compte que je me suis fait avoir quand je jette un œil dans le sac – ah, j’oublie de dire, comme je m’achetais quelque chose, j’ai acheté aussi une robe pour ma mère, très belle, et quand je dis très belle, à l’époque, c’est qu’elle était belle : ça faisait comme un ensemble, robe de soirée, blouse et jupe, serrée au milieu.

1 : De l’anglais business, désigne les petits trafiquants de devises ou d’objets courants rendus rares par la pénurie organisée dans le système communiste.
2 : “Plus âgé”, plus expérimenté, plus malin… mais dans une langue qui n’existe pas.

Radu, Tarascon 2015. Traduit du roumain par Laure Hinckel.