Une histoire collectée en mars 2021.
Transcription de l’histoire audio
“ C’est une histoire sur mes souvenirs de quand j’avais 10-11 ans en Tunisie, sur les coutumes de réception. C’est quelque chose qui nous avait fait mourir de rire ma sœur et moi, et sans le vouloir on est partis dans un délire complet.
C’était un gros industriel qui avait pris l’habitude de venir s’inviter chez nous le jeudi soir, et quand il venait c’était la fin de semaine. La coutume qu’il avait c’était qu’il quittait les costumes qui étaient vraiment le dress-code européen et il venait en djellaba voire même des fois en peignoir-pyjama parce que pour eux venir en peignoir-pyjama c’était vraiment une marque d’affection, une marque de considération. C’était histoire de dire : on vient, on est comme en famille donc on vient décontracté. Ma sœur et moi ça nous a complètement halluciné, parce que voir arriver quelqu’un dans une grosse Merco de l’époque c’était très marrant. Un gars qui avait des bagues en or, des grosses chaînes, vraiment qui montrait ses signes extérieurs de richesse et il venait en fait habillé comme ça, avec cette espèce de pyjama.
Nous, ça nous faisait rigoler avec ma sœur et il venait à la maison, on l’a compris plus tard, parce que chez nous il pouvait boire. Il venait se faire offrir du whisky et à l’époque le whisky qui était le must que devaient avoir les Tunisiens, c’était du Chivas. Manque de bol ce jour là, je crois qu’il n’y avait plus de Chivas à la maison. Il devait rester vraiment un fond de bouteille et ma sœur a eu une idée complètement farfelue, dans laquelle je suis complètement entré d’ailleurs.
Pendant que mon père accueillait avec maman le gars et sa femme, nous on est partis comme des dingues dans la chambre et on s’est mis en pyjama. Ce qu’on s’était dit, c’est que comme on doit faire l’accueil on va se mettre en pyjama aussi, comme ça, ça fera comme si on était super contents de le voir. On s’est mis en pyjama et ma sœur n’avait rien trouvé de plus intelligent que prendre la bouteille de whisky qui était pleine, c’était du whisky plus ordinaire, et elle a tout transvasé avec un entonnoir dans la bouteille de Chivas.
Quand ma mère a vu ça, elle était morte de rire. Elle a dit qu’on était cons mais elle nous dit d’apporter la bouteille maintenant que c’était fait, on avait tout rempli sur les 5, 6 cl de Chivas qui restaient au fond de la bouteille. Triomphalement avec ma sœur, on a été apporter la bouteille et les verres dans un plateau habillés en pyjama. On savait pas nous si on avait fait une bêtise ou pas, parce que le gars étant habillé comme ça, on s’est dit que nous ça ferait cool. En fait, on était pétés de rire.
On a apporté ça, le gars apparemment a pris ça plutôt bien et il avait l’air d’être content. Donc super à l’aise, il a pris la bouteille et s’est servi lui-même parce que quand il était chez nous il était vraiment sans façons, sans gêne. Il a goûté le whisky en disant : « Ah ouais, c’est vraiment du bon ! C’est celui-là, j’adore ça ! ». Et on a passé la soirée en pyjama à écouter ce qu’il racontait avec mon père. Brusquement ce jour-là, je crois qu’on a pris du recul parce qu’on s’est mis à tout comprendre au second degré. Ça a été peut-être la première expérience où j’ai vu qu’il y avait une double énonciation dans le langage. La personne racontait des choses et nous on était presque persuadés que soit il embellissait la vérité, soit il mythonnait. On s’est dit que ce gars là vient se mettre en démonstration pour bien se faire voir de nous et en même temps peut-être quelque part avoir d’autres types de contrats ou continuer des partenariats avec la boîte de mon père. On a compris ça à ce moment-là. ”
Didier