Histoires vraies du Haut-Jura

Il court, il court le coucou, par Christiane

17 janvier 2021

Temps de lecture : 3 minutes

Une histoire collectée en octobre 2020.

 

Transcription de l’histoire audio

C’est une histoire que ma grand-mère m’a raconté, elle est née le 2 janvier 1901 et elle disait toujours : « J’ai une année de moins que le siècle ». Pour elle, ça l’a toujours rajeunie. Ma grand-mère, qui habitait un petit hameau des Bouchoux qui s’appelle la Vimaure – la voie des Maures, quand elle était jeune elle était contrebandière. À cette époque-là, les gens allaient faire de la contrebande jusque dans la vallée de la Valserine puisque la vallée de la Valserine c’était en zone franche à l’époque.

Elle me racontait l’histoire d’un contrebandier qu’elle avait bien connu, qui s’appelait Jean Poncet et qui habitait à Désertin. Ce Jean Poncet, on l’appelait le Coucou, parce que quand il y avait les douaniers qui arrivaient, pour prévenir ses collègues il imitait le chant du coucou. Ils allaient souvent pour faire la contrebande du sel ou plus simplement du tabac, du café, des allumettes. Il était très malin, il arrivait toujours à fausser compagnie aux douaniers ou alors même il mettait des chiffons remplis de purin dans son fourneau, ça fumait beaucoup et les douaniers se disaient que le Jean Poncet était chez lui et pas en train de faire de la contrebande.

Un jour quand même, ils se sont rendus compte qu’il y avait des choses louches autour de chez lui et ils se sont dit qu’ils allaient le coincer, le Jean Poncet s’était aménagé une cache dans son écurie parce que dans le Haut-Jura il n’y a pas d’étable : c’est des écuries pour tout le monde. C’était dans la rigole à purin derrière les vaches qu’il s’était mis une cache. Les douaniers avaient beau venir, ils ne le voyaient jamais. Mais là, ils avaient changé de chien et le chien était peut-être plus malin que les autres, il a senti le Jean qui était caché là dans sa cache à purin. Alors les douaniers le sortent, ils le mettent à la prison des Bouchoux puis le lendemain ils l’accompagnent menotté pour Saint-Claude. Donc ils prennent le chemin pour la route de Saint-Claude à Bellegarde, encadrant Jean.

À chaque fois qu’ils passaient dans une ferme, les paysans lui disaient : « T’inquiète pas Jean ! Une année de prison ça sera vite passé ! » Mais les gens avaient un peu la trouille parce qu’avant les contrebandiers finissaient au bagne. Pas à Aubagne, au bagne. Il était pas bien fier le Jean, il se demandait ce qu’il allait lui arriver. Et puis ils sont passés après la route qui va aux Tapettes, c’est en-dessus-dessous les Branles, vers le champ de la queue longue. On a les noms qu’on peut.

Il a commencé à se tenir le ventre, puis les douaniers lui demandent ce qu’ils lui arrivent. Il leur dit qu’il a mal au ventre et qu’il croit qu’il va être malade. Les douaniers lui disent : « Bon, d’accord. Là, il y a un buisson, on t’enlèves pas les menottes mais ils lui délassent un peu la ficelle qui lui tenait lieu de ceinture. »

Le Coucou, il va derrière le buisson, les douaniers tournent la tête par pudeur et le Jean aussi sec, il prend son élan, il dégarade dans les égravines, il fait en sorte de pas s’entruper dans les arbres et tout et il passe le Tacon. Le plus jeune des douaniers a bien essayé de continuer mais il n’était pas d’ici donc il s’est vite tordu un pied, il est remonté et il a dit à l’autre que c’était trop tard et qu’il était parti. Ils avaient peur de prendre une bonne avoinée après les deux douaniers. Ils se trouvent un peu imbéciles quand même.

Le Jean, il est vite monté sur Coyrière. Le forgeron lui a enlevé les menottes et Jean est parti jusqu’en Suisse. Pas longtemps après, à la brigade des Bouchoux, ils ont reçu un petit paquet par la poste. Dedans, il y avait une paire de menottes et puis c’était écrit : « Le printemps est passé mais le coucou courera encore ». Et alors, il est revenu quand il y a eu une amnistie, mais il avait eu pas mal d’amendes à payer donc ses héritiers avaient dû vendre sa maison et on dit qu’il l’a rachetée trente ans après.

Christiane