Histoires vraies du Haut-Jura

De boîtes en boîtes, par Michel

27 décembre 2020

Temps de lecture : 3 minutes

Une histoire collectée en décembre 2020 à Lect.

 

Transcription de l’histoire audio

Le centre du village de Bois-d’Amont. Crédit.

Moi je suis Michel, j’habite à Bois-d’Amont dans le Haut-Jura, à la frontière suisse. Je suis là un peu par hasard puisque je suis originaire de Picardie. À dix-sept ans et demi, un peu en rupture de famille, de projet de vie, d’études, on est partis avec un ami en mobylette à la conquête de la terre promise. C’était réellement ça puisqu’on faisait de la musique avec les amis à 14, 15 ans et le bassiste avait un frère pasteur qui s’est marié en Suisse dans la vallée de Joux. Il est allé au mariage et il est revenu en nous décrivant des paysages extraordinaires, des sapins, des lacs, des gens gentils qui disaient bonjour.

Nous, sans réel projet en Picardie, on est partis découvrir cette terre promise et on est arrivés avec moultes péripéties jusqu’à la vallée de Joux. On a été clandestins parce que c’était un peu notre projet de vie, vivre en Suisse. On s’est vite rendus compte qu’on avait pas forcément notre place, que c’était très réglementé. On m’a posé au printemps 1977 à la frontière, à Bois-d’Amont, en me disant de trouver un travail parce que j’avais passé l’hiver en clandestin en Suisse hébergé dans une ferme. Je n’avais aucune couverture sociale, plus d’existence administrative donc c’était un peu dangereux.

Au printemps qui était plein de neige, j’ai fait toutes les petites entreprises. À l’époque, il y en avait une tous les quatre-cinq pâtés de maisons qui faisaient des boîtes : des boîtes en bois, la tabletterie, la boissellerie. Personne n’embauchait. Je suis arrivé au centre du village dans un grand atelier et un monsieur très sympa m’a reçu dans son bureau en me disant : « Moi j’embauche pas mais le petit atelier qui est là ils embauchent, va lui dire que tu viens de ma part. » 18 ans, fou de bonheur, recommandé par quelqu’un, je me suis dirigé vers ce petit atelier et dès que j’ai ouvert la porte j’ai vu que c’était pas les mêmes boîtes que les autres entreprises, eux ils faisaient des cercueils.

J’ai travaillé comme ça pendant trois ans chez le fabricants de cercueils de Bois-d’Amont. On faisait les enterrements, les mises en bière, tous les services funèbres du plateau de Bois-d’Amont à Longchaumois, les Rousses, etc. C’est comme ça que je me suis intégré puisqu’au même titre que le médecin, le curé, le pharmacien, l’instit ou le maire, le croque-mort c’est quand même quelqu’un qui fait partie de la vie de la communauté. J’ai été accueilli par une communauté qu’on dit toujours un peu fermée, les Haut-Jurassiens on les prétend un peu froids, un peu fermés. En fait, quand ils vous accueillent c’est pour la vie quoi.

J’ai regardé comment ils vivaient et pour vraiment me coller à la société du Haut-Jura j’ai fait comme eux, c’est-à-dire que je suis allé dans le bistrot. J’ai vu que quand ils étaient deux au bar, chacun payait un coup à l’autre. Quand ils étaient trois, ils buvaient trois tournées et quand ils étaient cinq ils en buvaient cinq. J’ai compris qu’il fallait payer la première et puis vite se sauver si on voulait rentrer sur ses deux jambes. Comme ça, j’étais complètement adopté. Personne ne connaît mon nom de famille sur le Haut-Jura, tout le monde connaît mon surnom puisqu’on a tous un sobriquet. J’ai vraiment été adopté par une communauté. C’est un souvenir que je garde ancré en moi très fort. Jamais dans aucune autre région de France, y compris la mienne, j’ai eu ce sentiment d’appartenance à une communauté, d’être accepté et être bienvenu quelque part. Ça c’est un souvenir très très fort. 

Michel