Résumé de l’extrait audio
En juillet 2006, quand les Israéliens ont bombardé Baalbek, il a fallu fuir quelque part, et la première chose à laquelle Rima a pensé, ça a été aux palestiniens qui vivent à l’entrée de la ville.
On a un camp de Palestiniens à Baalbek, et on voit bien que leur vie n’est pas facile. On les croise tout le temps, c’est une vie de pauvreté, ils n’ont pas accès aux métiers qu’ils aiment, ils ne peuvent pas être propriétaires. Alors imaginez une vie pareille, c’est l’enfer cette vie d’errance. Ils croyaient qu’ils allaient pouvoir rentrer au bout de quelques jours en 48. Mais non. Quand on est partis se réfugier en Syrie, j’ai eu peur que ça dure aussi 70 ans, alors dès que les bombardements ont cessé, j’ai été la première à rentrer.
Pour Rima, la famille, c’est ce lieu, cet ancrage qu’on nous a donné au monde, et qu’il faut à tout prix conserver, sous peine de devenir des Palestiniens, des exilés.
On venait de lancer des réparations pour notre maison de Baalbek. On était en train de changer les portes, les volets, toutes les boiseries. Quand ils ont annoncé que les soldats israéliens débarquaient, j’ai pensé que peut-être ces portes je ne pourrai jamais les utiliser.
Quitter chez soi n’est pas facile. Ça m’a appris à ne plus m’attacher à des choses concrètes, comme une plume, une bille, ou des moments de bonheur. Il n’y a rien de durable dans la vie, alors il faut vider ce qui compte pour soi. Survivre dans son corps et aussi psychiquement, pour ceux qui nous entourent. Le pire c’est de ne pas être dans son pays et de tomber malade. Vous ne pouvez pas imaginer. Moi ma fille est tombée malade en Syrie. De partout il y a des portes fermées, pas d’issues, on ne sait pas comment faire.
Quand je vois les Syriens aujourd’hui distribués, essaimés, ça fait mal. Tomber dans cette vie, avec des gens qui vous maltraitent, et la pitié partout, la pitié, la pitié, la pitié, je l’ai vécue en Syrie et je la refusais. J’ai dit non, je suis prof, on est arrivé en août 2006, pendant la dernière semaine de la guerre. J’ai cherché une école, mais il n’y en avait pas, alors j’ai cherché à donner des cours particuliers, et j’ai refusé les dons d’argent, de nourriture des associations, c’était non.
Une semaine après, on est rentré, heureusement. Le 14 août, j’étais dans mon lit. Les vitres étaient cassées par le souffle des bombes. On est arrivés en van à deux heures du matin, Baalbek était vidée, et on s’est retrouvé chez nous. Mon lit, malgré les bris de verre, et la poussière soulevée, mon lit, mon oreiller, à cet instant se sont mis à ressembler au paradis.
Rima M.