Transcription de l’extrait audio
“ La famille, c’est mon port d’attache, raconte Muriel. Elle est très importante pour moi, oui je peux dire que je suis très famille, même si j’ai dû un moment m’en extraire pour mieux y revenir.
Ma mère est du nord, de Zghorta, le fief chrétien des vendettas. Mon arrière-grand-père est mort dans une vendetta. A Zghorta, les gens sont passionnés, ils ont la gâchette facile, et ils sont avec Frangié, l’ennemi juré de Gemayel, surtout depuis la fameuse tuerie d’Ehden.
Le 29 février 80, en pleine guerre civile à Beyrouth, ma mère est enceinte, et elle en est au septième mois. Le 23 février, une voiture piégée a tué la fille de Bachir Gemayel, une enfant de 5 ans, ratant son père.
Ma mère se penche sur le journal, et il y a cette photo de la femme de Gemayel, en pleurs, qui la bouleverse. Elle imagine de suite, avec la haine qu’il y a entre les deux familles, une nouvelle tuerie, une vengeance terrible. Elle a peur pour sa famille à Zghorta, mais surtout elle a peur pour nous, comme on habitait à Ashrafiyeh, dans le quartier pro-Kataebs, et que tous nos voisins savaient d’où maman était originaire.
Depuis une semaine elle a de plus en plus mal au ventre, la poussée de stress s’étend, et ce jour-là les contractions commencent. Mon père commande un taxi pour l’hôpital, il neige sur Beyrouth, et ma mère perd les eaux sur le trajet.
J’étais sa peur au ventre, je suis née en avance, toute bleue d’hypothermie. En plus du lait ils m’ont mis à un régime d’eau du riz à la mode à l’époque, pour fortifier les bébés. Sur la photo de baptême on aurait dit un bibendum ! Le pédiatre a dit, mais vous êtes fous, arrêtez !
Aujourd’hui je ne me déplace qu’en taxi. J’ai grillé quelques feux. ”
Muriel