Transcription en français de l’histoire audio en anglais
“ Je m’appelle Jamal, je suis de Telkalakh, entre Homs et Tripoli, et j’habite au Liban depuis 21 ans. J’étais venue à Beyrouth faire mon master en littérature anglaise, et j’y suis restée, pour enseigner l’anglais. Or depuis un an, avec les nouvelles lois, je suis devenue illégale, impossible d’obtenir un permis.
Les autorités libanaises demandent que nous ayons un kafil, quelqu’un de responsable de ton séjour ici, de l’endroit où tu vis, qui se porte garant pour l’assurance, la banque. En tant que femme, je ne peux pas me permettre de risquer de faire confiance à quelqu’un, parce qu’il pourrait en profiter. Cette personne aurait tous les pouvoirs sur moi, et je refuse de me mettre dans cette position.
À chaque checkpoint on peut m’arrêter et m’envoyer en prison, je peux me faire maltraiter par la police, je dois vivre ma vie en faisant en sorte d’éviter tout problème, toute interaction avec des gens autour de moi, pour qu’ils n’utilisent pas mon statut d’illégale contre moi. Je vis avec ma mère, nous n’avons pas de présence masculine, pas de protection, et je dois travailler, illégalement, pour nous faire vivre.
Le paradoxe, c’est que notre famille est propriétaire de terres au Liban. Mon père a trois maisons, mais pour nous ça ne change rien. Lui vit en Arabie Saoudite, où il est programmeur. Il a fait ses études en France, à Orsay, où il y a une usine nucléaire, et moi je suis née à Orsay, en France, mais je n’ai pas de passeport français.
Je suis allée à l’Ambassade française récemment. Je leur ai dit, mon pays est en guerre, détruit par les milices, les terroristes, j’ai perdu mon pays, je n’ai plus de pays, mais je suis née en France, c’est mon deuxième pays, j’y ai vécu de zéro à cinq ans, est-ce que je peux avoir un passeport français ? Ils m’ont dit non. Pourquoi ? Juste être née ne suffit pas. Il faut y vivre, faire ta demande à 18 ans.
Je dis : « Bon, ok, oublions le passeport. Comment pourrais-je venir en France, en tant que touriste ? ». Il me répond : « Vous ne pouvez pas, parce que vous êtes syrienne ». L’homme qui me parlait était libanais, mais il faisait comme s’il ne parlait pas arabe, il regardait en l’air, en attendant que je parte, puis il m’a fait un signe, comme ça, il battait des mains derrière la vitre, faisait la brasse. J’ai dit, « qu’est-ce que c’est que tu fais ? », et là il m’a dit en arabe : « Si tu as tant envie d’aller en France, tu as qu’à y aller à la nage ! »
Je me suis rappelé mon grand-père, qui avait été pompier à Paris pendant la seconde guerre mondiale, alors qu’il étudiait la médecine. J’ai encore son certificat de bravoure qu’on lui a remis après-guerre. Il aidait les gens en détresse, les menait aux abris, s’occupait d’eux. ”
Jamal