Transcription en français de l’histoire audio en anglais
“ L’histoire commence ainsi. Ma fille m’appelle au téléphone et me dit : « J’organise un anniversaire surprise pour maman. Tu veux venir ? »
Nous avions divorcé depuis un bon moment déjà. J’ai trouvé ça étrange. Je n’avais jamais été invité à… tu vois le truc ? Si ç’avait été l’anniversaire de ma fille ou un truc du genre, ouais, là on se serait tous réunis. Mais, pour l’anniversaire de mon ex-femme… Du coup, j’ai trouvé ça bizarre et je me suis dit : « Ok, c’est un anniversaire surprise, Ok… » Alors je lui réponds : « Qui est-ce qui vient ? » Et elle : « Ses amis, la famille, tout ça… »
Très franchement, il y avait ce conflit larvé entre nous. Elle avait prévu de se remarier, ça faisait un moment qu’elle en parlait. Et honnêtement c’est un sujet difficile pour moi. De mon point de vue, c’était un peu comme perdre ma fille. Mon ex-femme se remarie et ma fille, qui a douze ans, est très proche d’elle. Alors, avec ce nouveau type dans les parages… Je suis quelqu’un de très très jaloux et possessif, je veux dire extrêmement, maladivement jaloux. Avec ce coup de fil, au plus profond de moi-même, je me suis senti comme possédé par une sorte de petit démon qui me soufflait : « Vas-y ! Fonce dans le tas ! » Tu vois le genre ? Du coup, j’ai dit : « Ok ! Je viendrai ! »
Quand je suis arrivé là-bas, j’ai été aussitôt confronté à un drôle de phénomène : tout le monde a pris un air gêné. Cela dit en passant, c’était mon appartement. Chez moi. On vivait là avant… J’ai le droit d’être chez moi, non ? Donc tout le monde prend son petit air choqué : « Quoi ? Mais qu’est-ce qu’il fait ici ? » Tu vois le truc… Et moi, de mon côté, je commence à l’avoir mauvaise, je veux dire, comment peuvent-ils tous me mater comme ça alors qu’ils sont chez moi, putain, et que c’est quand même ma femme et ma fille là ?! Ah oui, Ok, détail, c’est mon ex-femme, mais je suis désolé, ça reste encore mon territoire. Du coup, je m’assieds et une de ses meilleures amies vient me voir :
– Écoute, il faut que je te parle…
– Bien sûr, dis-moi tout.
– Il y a son fiancé qui vient ce soir.
– Ok, pas de problème !
– Oui mais, tu sais, ça serait bien que tu surveilles ton comportement avec Leïla, tu sais comment c’est dans ces cas-là…
– Je vois vraiment pas de quoi tu parles… C’est ma putain de baraque.
– Quoi ?
– Je dis juste qu’ici c’est ma putain de baraque !
– Non mais, s’il te plaît, fais juste un effort pour être calme et gentil et…
– Bon, ça va, j’ai compris.
Ma présence rend donc tout le monde de plus en plus nerveux, ils sont tous… super mal à l’aise. C’est vraiment une sensation très étrange. Et, obscurément, je pense au pacte que j’ai passé avec mon démon pendant le coup de fil de ma fille, je repense à ce petit démon qui a tout fomenté depuis le début.
La nuit commence à tomber et d’un coup tout le monde s’agite : « Leïla arrive ! Leïla va arriver ! Cachez-vous ! »
Alors, on se cache et puis elle entre, et tout le monde se met à crier : « Joyeux anniversaire ! » Tout de suite, elle m’aperçoit, et fait une mine pas possible, l’air de dire : « Mais, qu’est-ce que tu fous là ? » Et ça, c’est la goutte d’eau. Ça achève de me foutre hors de moi : de quel droit me traite-t-elle comme ça ? Je suis chez moi bon dieu ! D’accord, c’est fini entre nous, mais quand même… Et il y a là tous nos amis de l’époque où nous étions mariés. Comme une sorte de flash-back qui me fait retourner dix ans en arrière… Tu as laissé tout ça derrière toi depuis longtemps et ça te revient d’un coup en pleine face. C’est vraiment très étrange.
Alors, je reprends, elle entre, et moi je crie : « Leïla ! » Et puis, je me jette sur elle, je la serre contre moi en la soulevant et je l’embrasse ! Tout ça devant son nouveau fiancé… Ce que je fais, là, en Égypte, c’est comme si, selon vos critères européens, c’est comme si je couchais avec elle sous ses yeux ! Le type est devenu tout blanc !
Après on a commencé à faire tous ces trucs débiles d’anniversaire avec les gosses, et moi je faisais comme si j’étais encore le mari de Leïla. Comme si on était retournés dix ans en arrière. Je faisais le clown et tout… Honnêtement, je me suis comporté comme un parfait trou du cul avec ce type. J’avais tellement envie de lui faire sentir que c’était ma maison et pas la sienne, que c’était mes amis et qu’il s’était aventuré sur MON territoire, tu vois le truc ? Du coup, il s’est mis à l’écart et il est parti fumer sur le balcon.
Pendant ce temps, je continuais de parler fort et d’importuner sans vergogne mes anciens amis : « Hé ! Comment ça va ? Comment va la vie ? » Lui semblait de plus en plus mal, alors j’ai fini par me dire : « Là, franchement, t’es un vrai connard. Reprends-toi et montre aux autres, à ta fille, que tu peux être un vrai gentleman. Va voir le type, mets ton ego de côté, sois sympa et va faire ami-ami. »
Donc je vais le trouver et je lui dis : « Salut ! Comment va le boulot ? Tout va comme tu veux ? » C’est un flic le mec, un officier de police. Il me répond, tranquille : « Ouais, carrément mec… Y’a la révolution et tout, mais bon… »
Tout se passe bien, c’est cool, on papote… Mais là, à un moment, finis les bavardages, il commence à faire le malin, genre c’est lui le patron, tu vois le truc ? Pas du tout ce que j’espérais comme réaction ! Moi, je voulais juste qu’il arrête de bouder sur le balcon et qu’il revienne se joindre à mes amis. Mais là, il commence à me raconter des trucs du genre : « Tu vois, quand les chiens pissent sur le tapis, voilà comment on s’y prend… » Le mec était complètement chez lui ! Il vivait littéralement ici !
Là, j’ai vraiment commencé à me fâcher. Je bouillonnais. Bon, je laisse couler, je laisse faire jusqu’à ce que la fête s’essouffle, que tout le monde commence à partir et que nous nous retrouvions en petit comité dans le salon : ma belle-mère – enfin mon ex-belle-mère, quelques amis proches. Je commence à dire à la ronde que je vais pas tarder à y aller. Selon la tradition égyptienne, ils n’étaient pas encore mariés, donc… Eh bien, lui n’aurait pas dû rester là après que tout le monde soit parti. Alors j’insiste : bon, je m’en vais ! Et lui qui est encore là, et qui ne semble pas vouloir partir. Qu’est-ce qu’il fout, merde ? Je ne pars pas tant que ce type reste ici, point barre. Je me fous qu’il revienne après. Mais, il est hors de question que j’accepte cette situation.
Pendant ce temps, les gens continuent quitter l’appartement jusqu’à ce que nous ne soyons plus que six. Là, même la belle-mère commence à dire : « Bon, on va y aller, nous… » Et moi je pense : « Merde ! Je vais me barrer, moi, pendant que lui reste là ? Alors-même que c’est ma maison, ma fille et tout ? »
À cet instant j’ai été comme touché par la foudre. Je n’ai plus pu me contrôler. C’était comme si j’avais été hors de mon propre corps. J’avais l’impression d’être encore assis alors même que je me dirigeais vers le pichet pour me servir à boire ! Et là, je me suis entendu dire à ce type : « Hé, mec, je vais rentrer maintenant. Donc, je suppose que tu vas faire la même chose. » Il m’a regardé, complètement abasourdi, comme s’il se disait : « Bordel ! Ce type n’a aucune limite ! » Il s’est quand même levé, ce qui m’a laissé penser que, ça y est, on allait se battre. Mais il m’a juste dit : « Si je comprends bien, tu me fous dehors ? » Je réponds du tac au tac : « Effectivement. Je te fous dehors ! Casse-toi ! »
Et, pfuit ! Il se barre ! Moi-même, je ne me rends pas vraiment compte de ce qui se passe. Les gens autour sont vraiment choqués : « Mais, qu’est-ce qui t’a pris ? » Mon ex-femme, qui se reposait dans sa chambre, est mise au courant dans la foulée. Elle débarque et se met à hurler : « Mais, pourquoiiiii ?!!! »
C’est devenu l’EN-FER pour moi, tu vois. « Sors de cette maison !, elle a crié. Ça n’a jamais été chez toi ici ! » C’était un vrai désastre. Tout le monde a commencé à m’attaquer. C’était comme revenir à nos premières années de mariage. Les mêmes disputes, tout le tralala… Mais en dix fois pire : ma fille pleurait, ma femme aussi. Il y avait ma belle-mère, sa meilleure amie et aussi quelques autres personnes qui ont tout fait pour que je me sente petit. Mais, pour être franc, je me sentais parfaitement bien ! Je jubilais !
Plus tard, quand j’ai raconté la scène à ma copine de l’époque, elle a été à deux doigts de me quitter : « Personne ne se comporte de la sorte ! Tu ne vas pas bien ou quoi ? Waouh ! Ça veut dire que tu es capable de faire ça ? C’était vraiment méchant ! On va faire une pause tous les deux, t’as besoin de te calmer. Nous ne sommes plus ensemble ! »
Mais le sentiment de satisfaction que j’éprouvais alors, en cette fin de soirée. Ce salaud avait intimement investi cette maison, ce territoire, MON territoire. Ce que j’ai fait là, ça a mis fin à tout ça. À tel point qu’ils ont dû déménager pour vivre ensemble. D’accord, ma fille a assisté à la majeure partie de la scène et disons qu’une partie de moi était vraiment gênée vis-à-vis d’elle, mais, d’un autre côté, je voulais qu’elle sente que son père tenait vraiment à elle. Que je pouvais être jaloux à cause d’elle. Que je ne voulais pas d’un autre homme dans sa vie, et j’ai pensé qu’un jour, lorsqu’elle serait plus grande, elle serait vraiment capable d’apprécier mon comportement à sa juste valeur.
Après, ça a quand même pris deux ou trois mois pour que tout revienne à la normale avec mon ex-femme et que tout le monde se mette de nouveau à m’adresser la parole. Aujourd’hui, ils ont dépassé tout ça, je pense… mais cette soirée a quand même été l’une des plus grandes jouissances de mon existence ! C’était quasi-sexuel, tu vois. Un sentiment intense de soulagement. De me dresser et de rentrer dans le lard de ce type si sûr de lui, si arrogant. D’autant que j’étais sûr qu’il profitait de la situation avec ma femme. C’était un appartement très cher et j’avais travaillé dur pour l’acquérir. Et puis ce type était plus jeune qu’elle. Je sais bien qu’ils étaient amoureux mais… j’ai eu l’impression de mettre les choses au point avec lui. De lui avoir fait comprendre que rien ne lui était acquis, que ma femme et ma fille ne sont pas un truc en libre-service dont il peut se servir à sa guise. ”
Khaled Najeib. Traduit de l’anglais (Égypte) par Benoît Rivera.
Remerciements aux éditions Verticales.