Je me souviens de Monastir. Je n’y ai habité seulement que 5 ou 6 semaines, tout au plus. J’avais 7 ou 8 ans à l’époque, l’âge de ma seconde fille. C’était il y a 30 ans, 3 décennies qui semblent une éternité. Que le vent a dû souffler et faire s’envoler le sable des falaises depuis !
Nous étions en famille, tous les cinq. Mon père que nous ne voyions jamais ; il était médecin, travaillait tout le temps, nous l’avions pour nous une semaine entière ! Ma belle-mère, qui venait d’arriver dans la famille ; ma mère nous avait quitté une ou deux années auparavant, partie d’un cancer sans que nous n’ayons finalement compris. Mes deux sœurs, terriblement jumelles, de deux ans mes cadettes. Et moi, petit garçonnet. Tous les trois étions blonds comme le sable blanc de cette terre de bord de mer, aux yeux bleus, plus bleus que la mer et le ciel de cette ville arabe, magique, envoûtante, aux milles sonorités et odeurs qui résonnent encore dans ma tête, dans mon cœur.
Nous partions à l’aventure à chaque fin d’année. Et quelle aventure ! Une semaine, entière, tous les cinq, pour fêter Noël avec nos si lointains cousins ! Il fallait se rendre à l’aéroport, quitter Tours où nous habitions, rejoindre Paris, les lumières, le monde, la foule ! C’était notre grand-père, que nous appelions Pépi, qui nous conduisait dans sa grosse et puissante voiture. Le voyage commençait ! L’avion décollait bientôt.
Monastir arrive !
Quelle ville ! Quelle beauté ces paysages naturels, vifs, poussiéreux mais toujours étincelants et ensoleillés même en cet hiver gris que nous venions de laisser derrière nous !
Nous retrouvions-là notre oncle, grand par la taille, savant aux cheveux ébouriffés, professeur à la Faculté, chercheur, il était même docteur, comme notre père, sauf que lui, soignait… les mathématiques ! Mais comment faisait-il donc ? Comment peut-on bien soigner les mathématiques ? Et il pouvait d’un moment à l’autre s’arrêter, même au milieu du joyeux brouhaha incessant que nous produisions tous les enfants, pour se poser, se mettre à penser, réfléchir, écrire et écrire encore des lignes de chiffres, de sigles compréhensibles de lui seul ! Ma tante, toujours afférée dans la belle maison, à entretenir, à cuisiner encore et encore ces plats magiques et inconnus de nos papilles dont le souvenir persistera à jamais ! Et nos trois cousins, Jérémie, Clément et Anatole ! Tout autant bruns que nous étions blonds ! Tout autant garçons, mecs, que mes sœurs étaient filles ! Depuis cet été où nous nous étions quittés sur les bords d’une autre plage océanique celle-ci, enfin, nous nous retrouvions ! Quelle joie ! Le BONHEUR, insouciant, éternel.
Nous jouions. Ensemble. Partout. Tout le temps.
La maison de couleur jaune pastel et blanc immaculé à l’intérieur, son jardin, les clémentines que nous prenions dans l’arbre… Elle n’était pas comme nos maisons cette maison, oh que non ! Ouverte, légère, aérée, les murs lisses, le sol froid, les fenêtres sans volet… Chaque pièce était pour nous terrain de jeux. Le jardin devenait l’exploration du monde. Nos figurines de la « Guerre des étoiles » devenaient des héros entre nos mains expertes ! Et Mounira, qui était toujours là. Que de ménage n’avait-elle à faire, à cause de nous parfois ; elle est depuis devenue une amie de la famille ! C’est Mounira qui a appris à ma tante à faire le couscous, le VRAI, le familial : « L’incomparable et fameux couscous de ma tante Chantal » !
La plage, son sable blanc, ses « boules de poils de chameaux » comme nous les appelions qui roulaient au vent. La mer, parfois nous nous baignions même en ce plein hiver !
La falaise, ocre, merveilleuse, mystérieuse, aux milles recoins, cachettes. Nous l’arpentions en vélo, en courant, en cow-boys ou indiens selon les cadeaux que nous avions reçus !
Les cadeaux… Une valise énorme faisait le voyage avec nous, elle ne fermait pas toujours ; bien souvent, il fallait la sangler tant elle regorgeait de cadeaux, de nos cadeaux que nous amenions depuis la France à Monastir ! Mais attention, seuls mon grand-cousin et moi, étions au courant, non le Père-Noël n’existait plus, déjà…
Et pour recevoir tous ces cadeaux, qu’y avait-il ? Un sapin, comme partout et chez tout le monde en `France ? Mais non, il n’y avait pas plus de sapins là-bas que de mandariniers chez nous… Une citrouille magique ! Oui, une citrouille faisait office de sapin ! Nous y mettions consciencieusement autour chacun un de nos chaussons… Quelle était belle cette citrouille ! Décorée, enrubannée, brillante de mille feux ! Et qu’ils étaient beaux ces réveils, ces cris d’enfant autour de cette citrouille magique ! Ces images flottent encore dans ma tête, dans ma mémoire comme de lointains mais puissants souvenirs.
Je me souviens des sardines piquantes de ma tante ! De simples sardines en boîte de conserve. Uniques, mélangées simplement à du beurre, étalées sur du pain ! Ouha, le feu dans la bouche, l’explosion, le tournis, vite il fallait de l’eau, non… de la mie de pain, vite ! Après maintes et maintes recherches infructueuses depuis ces longues années, je viens d’en retrouver chez l’épicier de mon village ! Incroyable ! Elles viennent du Maroc, elles sont parfaites, même goût, même piquant, même odeur ! Simplement côté de chez moi, dans mon petit village de Touraine. J’ai pu en fournir à chaque fois à mon Pépi, à mes cousins de passage, ma tante… Illusion à chaque fois retrouvée !
Monastir, je me souviens les plages blanches, la mer bleue, le ciel azur, les sardines rouges, et la citrouille magique orange comme la terre de cette belle falaise, de ce beau pays.
Souvenirs de Monastir : citrouille magique, sardines piquantes !
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