J’ai rencontré hier Paul Mattar, directeur du théâtre Monnot, à Beyrouth, et initiateur d’un festival de contes qui a lieu tous les ans en mars depuis treize ans.
Et comment tu juges qu’elles sont vraies ces histoires? me demanda-t-il, après avoir écouté ma présentation du projet Histoires vraies.
L’histoire est vraie, j’ai dit, à partir du moment où la personne qui la raconte la considère comme vraie. Je ne suis pas flic. La personne peut mentir bien sûr. Je ne vais pas vérifier. C’est un rapport de confiance.
D’accord, dit-il. Mais maintenant, laisse-moi te raconter une histoire. Il y a pas mal d’années je me suis retrouvé en plein désert, à la frontière du Koweit et des Emirats, à la recherche de musiques populaires. C’était précisément en 1979. Et là je tombe par hasard nez à nez avec de vrais bédouins, qui faisaient paître leurs chameaux et jouaient d’un instrument rudimentaire, une sorte de violon archaïque. Les tentes en peau de bête se disaient maisons de poils en arabe. On a commencé à discuter, et je leur ai demandé si je pouvais enregistrer leur musique. J’étais aux anges. Avant de partir, ils me demandent si les Israéliens occupent toujours l’Egypte. Nous étions plus de six ans après le conflit. J’avais touché le gros lot, ces gens étaient vraiment de purs bédouins comme il en restait peu.
Le lendemain, j’arrive chez un ami anthropologue, grand spécialiste des musiques primitives, et je lui raconte ce merveilleux hasard qui m’a permis d’enregistrer ces gens sortis de nulle part. J’explique toute la scène, les dunes changeantes, qui disparaissent la nuit et réapparaissent quelques kilomètres plus loin, la beauté du désert, les maisons de poils…
Mon ami m’ordonne de lui faire écouter les bandes sur le champ. Je branche l’appareil et je lui passe l’enregistrement. Au bout de quelques minutes, il arrête l’appareil et me dit : Paul, ce que tu as enregistré, ce sont les airs des tubes à la radio. Ils jouent des airs d’aujourd’hui, les airs à la mode. Ces gens sont les pires menteurs qui soient. Ils s’inventent des vies chaque jour.
L’esprit bédouin est comme les dunes, comme le désert, toujours changeant, toujours transformé.