C’était le mariage d’un pote du quartier. Il avait fait les choses en grand : blocage de toute la circulation dans la rue, celle-ci étant fermée aux extrémités par deux barrières. Il y avait pas moins d’une centaine de chaises sur la chaussée, en face de la scène montée elle-même sur une estrade de fortune. Le marié était un grand fumeur devant l’éternel et aucune mixture planante n’avait de secret pour lui. Les invités étaient du même calibre : toute l’assistance était sous un immense nuage de fumée lorsque les flics arrivèrent ; ces derniers reniflèrent les volutes, en regardant avec un œil suspicieux les spectateurs. Le frère du marié vint offrir un thé à la maréchaussée, avec des petits gâteaux bien spéciaux, qui détendent l’atmosphère…
Au bout de quelques minutes, l’un des deux policiers avait jeté sa casquette et dansait sur un rythme endiablé ! Son collègue était déjà allongé sur la plateforme du camion municipal qui avait ramené les chaises : impossible de le réveiller ! Le groupe musical a démarré la soirée avec les tubes rythmés qui faisaient danser les foules, mais vers minuit, le public était sur une autre planète… Les auditeurs du début ne sont que des fantômes scotchés sur leur chaise ; le groupe, enfumé lui aussi, n’arrive plus à aligner les notes, et soudain on entend un grand craquement !
La scène est en train de s’effondrer sur le côté, mais au rythme de la soirée : elle descend au ralenti, jusqu’à s’étaler entièrement sur le sol ! Le plus extraordinaire, c’est que le groupe ne s’est pas arrêté une seule seconde de jouer et le public n’a pas bronché ! Le flic danseur est maintenant affalé sur le trottoir, pieds nus, et fumant un énorme pétard ! Son pote s’est réveillé et il fait plaisir aux fêtards en leur donnant son flingue pour tirer en l’air, en signe d’allégresse. Il n’y a plus aucune personne de sobre, ni dans l’assistance, ni dans le comité d’accueil !
Les potes du quartier étaient bourrés, mais ils n’avaient plus de pinard. Qu’à cela ne tienne : le moins bourré de tous pique le fauteuil roulant de notre pote handicapé et file en pédalant vers les caves du port, d’où il est censé revenir avec un jerrican de 30 litres de gros rouge… sauf que son esprit embrumé avait omis le proverbe arabe qui dit : « À chaque pente correspond une côte ! ». Et la côte qu’il doit affronter au retour, bourré et chargé, l’achèvera vers le virage de Savignon, juste à côté de la cave, où il dormira du sommeil du juste dans son fauteuil jusqu’à demain…
La soirée s’étira jusqu’à point d’heure, et les derniers sons s’éteignirent avec le lever du soleil, alors que les derniers amateurs de musique commençaient à dévaler la pente pour s’évanouir dans l’aube naissante… Deux policiers dormaient comme des anges, attendant le passage de la patrouille qui les amènera se dégriser au commissariat du coin…
Habib Amar • Texte / Text
Histoire écrite en français / Story written in French