De ce côté de la famille, il ne restait plus que mon oncle et il est mort il y a deux mois. C’était un homme qui gagnait bien sa vie, occupait un poste de directeur général à l’inspection des impôts, et avait vécu avec ses deux sœurs célibataires jusqu’à ce qu’elles meurent. Puis une cousine avait pris la relève : elle faisait à manger et passait récupérer ses plats.
Il ne préparait même pas une tasse de thé et il détestait le poisson, ce qui est étrange pour un Alexandrin.
Ils l’ont retrouvé mort, par terre. Les médecins ont dit que cela faisait plus de trois jours qu’il était là. Cette année, en Egypte, l’hiver a été terrible. Le marbre au sol a conservé le corps, comme un frigo.
Dans l’appartement la police a découvert plus de 150 000 livres en billets, cachés ici et là, dans des sacs, dans les placards. Sans parler du compte en banque. Il est mort à 90 ans, et il n’en a pas profité une minute.
Je me pose cette question : comment est-il possible de vivre une telle vie, seul avec son argent, sans femme ni enfant ? Régulièrement je l’appelais, le visitais, et les derniers jours encore, je lui avais téléphoné mais il était devenu sourd, et je ne me suis pas inquiétée, je me suis dit qu’il n’avait pas entendu la sonnerie.
Mon oncle était le frère de mon père. Ma mère et mon père ont divorcé alors que j’étais très jeune, et jamais mon père n’a voulu payer quoi que ce soit pour moi. Ma mère est allée au tribunal, et il a été jugé qu’il devait payer pour mon éducation, mais il refusait de payer pour l’école privée où j’allais, soi-disant trop chère.
Quand mon père est mort, sa dette envers ma mère s’est reportée sur mon oncle, le dernier frère, qui lui aussi a refusé de payer. Il m’a même dit que puisque j’avais hérité de mon père, il serait logique que je paye la moitié de la somme. C’est-à-dire que je rembourse ma mère pour la moitié de mes frais scolaires.
Mon oncle était malade de son argent, et ne dépensait ni pour lui ni pour les autres. Comme lui et ses sœurs n’avaient pas d’enfant, par la loi, alors que jamais il ne m’avait donné un centime, je suis devenue de fait sa seule héritière. Quand je repense à la mort qu’il a eue, trois jours allongé sur le marbre froid, je me dis que Dieu, en me donnant cet argent, s’est vengé de cette famille et a vengé ma mère.
Anonyme – Egypte / Egypt – Texte / Text
Histoire écrite en français / Story written in French