CRIZHOPITALS

25 avril 2012

Temps de lecture : 9 minutes

Tout à commencé avec ce maudit accident, où ma grand-mère à l’âge de 96 ans a fait une chute. Partie demander à une infirmière dans un laboratoire d’analyses médicales pas très loin de chez moi de bien vouloir se déplacer à la maison pour lui faire un prélèvement sanguin. Elle me réplique : «  je suis une femme de bonne famille… je ne me déplace pas chez les gens » !

Outrée par cette réaction,  j’ai  fait appelle à un service privé d’assistance médicale à domicile.
On pouvait très bien appeler le service des pompiers, mais ces derniers ne fond  que déplacer le malade vers l’hôpital, ni soins d’urgences, ni prise en charge sur place. Le SAMU, par contre, exige que le patient soit dans un état très grave « mourant » pour intervenir et le prendre en charge !

J’appelle le service d’aide à domicile. Un homme me répond aimablement et m’explique que toutes les ambulances sont  mobilisées dans le cadre d’un séminaire, qu’il faut patienter !
On patiente. On s’impatiente. Je le rappelle au bout deux  heures. On nous propose  une consultation à domicile et/ou un déplacement à l’hôpital. Un jeune homme arrive chez nous, s’excuse du retard qui est due concrètement et naturellement à la circulation routière, mais il rentre les mains vides : pas de gâteaux, pas de fleurs ni une petite valise de soins d’urgence !
Ce jeune médecin  était gentil, aimable et beau garçon mais ne savait pas mettre « Mani » (j’appelai ma grand-mère ainsi depuis ma tendre enfance) dans une position confortable car elle est restée pliée en deux depuis sa chute à cause du traumatisme !
On décide d’un seul regard de partir à l’hôpital…

Cette vielle carcasse qu’il a ramenée, en guise d’ambulance, c’était une ferraille ambulante. Une odeur désagréable se dégageait de la bouteille en plastique placée sur le radiateur. Le chauffage était allumé au lieu du climatiseur. Nous étions en été !
Il était plutôt doué pour conduire et faire la course avec les autres automobilistes qui ne voulaient pas céder le passage  à la pseudo-ambulance.
Tout servait de gyrophare : nos mains, le klaxon, nos regards et même parfois nos injures ! Une vraie course contre la douleur, la mort et la bêtise humaine !

Arrivés  à l’hôpital. Il fallait décrocher l’accord d’hospitalisation.  Le médecin/chauffeur nous entraîne  habilement dans une petite scène théâtralisée qui nous a permis d’obtenir le précieux document. Notre sauveur a touché une somme d’argent conséquente. Ses honoraires.

L’hospitalisation de « Mani » a duré dix longs jours. Agée,  avec tous les problèmes de santé qu’elle avait, je devais laisser tomber toutes mes activités afin de pouvoir l’accompagner dans cette dure épreuve.
Les heurs dans l’hôpital s’allongeaient, le temps devenait lourd et flasque. Pour surmonter cette ambiance, je décide de noter toutes mes observations au sein de cet espace qui sent le formol.
Mon petit rapport a pour titre « Maux incurables dans le secteur hospitalier ».

Une fois admises, « Mani » a bénéficié d’un lit dans une chambre où se trouvaient déjà d’autres malades. Moi, j’avais le droit à une chaise que je devais partager avec les cinq autres gardes malades !
On était nombreuses dans ce « service Femme ». Un grand couloir rassemblait les une et les autres.  Les anciennes accueillaient  impérativement les nouvelles avec curiosité et bonne humeur !

Mon regard s’est posé rapidement sur un comportement récurent de la part du personnel et des pensionnaires. Le régionalisme est le dicta principal ici. J’étais naïve en croyant que ce fléau touchait seulement la capitale. Une jeune patiente  venait d’allumer sa radio. Une  femme déplorait la situation hospitalière des malades dans un des hôpitaux de l’ouest du pays, constatant l’affreuse condition de ses derniers, surtout ceux qui viennent de loin,  qui sont livrés à eux même face à  l’ignorance, et qui sont dans l’incapacité réelle de se procurer un traitement si ce dernier est vraiment adéquat. Du coup, je me suis sentie moins seule.

Lorsque  « Mani » cédait au sommeil, je parvenais à suivre le théâtre de fiction qui s’offrait à moi. Les rôles sont si disparates.
Les hommes, sont très gentils, toujours prêts à servir une jolie femme  qui n’a point envie d’être aidé au risque de la gêner devant un parent ou un mari trop jaloux mais qui reste immobile devant cette efficacité maladroite  et pavée de bonnes intentions !
Les femmes – sauf celles qui font le ménage- se donnent plus d’importance au point de passer à coté de leur devoir.

Une  infirmière est venue le lendemain, faire des injections à des patientes impatientes. Elle se cachait derrière le masque de l’infaillible Dame de Fer. Faire un prélèvement sanguin aux patientes les plus agitées était sa principale mission qu’elle accomplissait efficacement grâce à son déguisement.

Je fus déçue lorsque je  lui ai demandé de m’aider. Je ne savais pas comment faire bouger le corps de « Mani » à cause de sa fracture.  J’avais peur de lui faire mal vue qu’elle hurlait  juste à l’idée que mon doigt se posait sur elle !
Je voulais trouver « un professionnel de la santé » pour m’accompagner dans mon geste afin de pouvoir m’occuper d’elle, lui faire sa toilette. Cette femme trouvait ma demande déplacée.  Elle me dit simplement : « Je suis une infirmière, je ne change pas les couches, demandez à la femme de ménage de vous aider, c’est son travail. » Outrée par sa réponse, rangée par le désespoir, aidée  par deux autres gardes malades, j’ai essayé de retourner « Mani » qui a triompher en hurlant à tue tête.
Cela a fait réagir l’infirmière qui est venue. Elle n’a fait que porter ma colère à son paroxysme m’expliquant qu’il faut être dure et ferme, ne pas faire attention à la fracture, tentant de me rassurer qu’une telle fracture (du col du fémur)  non opérée  est moins dangereuse lors de la manipulation. « Votre grand-mère n’a pas subit d’intervention chirurgicale » insiste-elle.  Dans d’autres thermes, je devais malmener ce corps si fragile et ô combien endolori en toute sérénité !

Je comprends, aujourd’hui pourquoi on disait au tour de moi que le personnel de la santé sont sans pitié.
Dans un premier lieu, ils sont sensibles comme ces deux stagiaires  qui sont venues  m’aider. Ils sont restés cloués et effrayés à cause des hurlements de « Mani ». Avec le temps, ils deviendront  plus forts, dotés d’un cœur en acier.

La monotonie des taches quotidiennes  rendent le personnel insensible. Ça  leur arrive de s’adoucir un peu. Le caractère des malades, ne les aide pas beaucoup. Chacune réclame l’exclusivité des soins.
Un matin, je me trouve dans La salle avec six patientes qui ont subits des opérations diverses pour soigner des pathologies d’ordre orthopédiques. Leurs parentes comme par miracles ou mal chance  ont quitté  les lieux en même temps pour des raisons évidemment différentes.
Remplie de bonnes intentions j’ai voulu les aider. Comme  par contagion, elles ont commencé  à  me réclamer toutes au même moment, à cinq heures du matin. Une matinée ou je gardais encore les traces d’une terrible nuit blanche passée au près de « Mani » qui était très agitée. J’ai simplement craqué. À ce moment là, je pouvais comprendre le personnel médical.

« Mani » n’a jamais porté de couches. Connaissant sa personnalité, sachant la grandeur de son orgueil, j’ai compris combien ce geste était pénible pour elle. C’était l’ultime solution  qui nous a pourtant évité beaucoup de désagrément sur place.

La propreté ou plus justement la saleté dans l’hôpital était loin d’être implicite.
Face à l’interminable corvée de nettoyage, les femmes de ménages  ont les matériels nécessaires : frottoirs, détergents, Eau de Javel et surtout des gants. Cependant elles ont la fâcheuse habitude de laver le sol  sans passer par les coins.
L’une d’entre elles nettoyait seulement mais doublement le passage qui s’offrait  à la vue en ouvrant la porte de la chambre quelques minutes seulement  avant le passage du Professeur que tout le monde redoutait. Une manœuvre qui n’a certainement  pas échappé  au chef de service. Une autre  vient de  gronder  une garde malade qui passait avant le séchage du sol pour aider -dans l’urgence-  sa maman en lui disant avec un air convaincu : «  restez là ou vous êtres, le professeur va me sanctionner s’il voit la moindre tache »

Heureusement que toutes ces femmes de ménages ne se ressemblent pas. Quelques unes d’entre elles continuent de bien faire leur travail par amour ou par choix dignement assumé.
C’est le cas de ce bout de femme qui boite à cause d’une male formation au niveau  du pied. On l’appelle  khalti Taoues (tante Taoues). Très gentille. Grande de par sa générosité. Fascinante dans ses gestes qu’elle répétait  toujours avec amour. Elle devenait aide-soignante quand cela est nécessaire,  se transformait en douce garde malade dans d’autres circonstances.
Tout le monde dit du bien d’elle. Cependant, chacun de part ses gestes irréfléchis, voir irresponsables lui causait préjudices et souvent l’humiliait !
Il suffit de faire un tour dans les toilettes pour comprendre.
Les femmes  jetaient de l’eau javellisée sur les cuvettes à chacun de leur  passage ignorants que les quantités énorme d’eau déversées seront l’origine d’une grande corvée pour khalti Taoues ! Les gestes se multiplient mais ne se ressemblent pas. Taoues les efface avec un coup de ballet magique telle une fée bienfaisante.

Dans tout le service, il n’y a que deux pots pour récolter les urines quant il s’agit de personnes à mobilité réduite. Les gardes malades les  utilisaient mais ne les lavaient pas.
Un soir, une scène m’a laissé bouche baie et m’a suspendu  la faculté de réagir. Une des gardes malades a jeté devant mes yeux l’urine dans le lavabo/évier !
Pour couronner ce panache dégoûtant, c’est très important d’évoquer  le seul grand sachet de poubelle ou tout le monde jetait  tout. La nourriture se mêlait avec les pansements qui se confondaient avec les couches. Ce bouquet augmentait de volume  jusqu’à former une immense montagne à coté du grand lavabo à double utilisation.  Les vers trouvaient leur milieu favori pour se proliférer.
Ici tout le monde rouspète, les femmes de ménages font  la guerre contre tout et rien. Dans ce tourbillon,  tout le monde cherche à avoir raison lorsqu’ils ont tous tord !

Dans mon petit carnet je déversais tout pour ne garder au fond de moi que l’amour que je porte pour « Mani » qui est l’essence même de ma lucidité.
Une lucidité qui me dicte mes comportements face à ceux qui se trouvent au sommet de la pyramide des soins médicaux, parmi eux le grand professeur. Aux yeux de tous, c’est un homme redoutable. Cultivé. De grande expérience Vivant entre les deux rives.
Mon obstination, mon refus de la décadence qui régnait  m’ont conduit à sa rencontre lors d’une de ses tournées matinales bien qu’en tant que accompagnatrice de la malade, je n’avais pas le droit d’y assister.  J’ai pris ce droit après une bataille avec la chef de service. C’était hors de question de laisser « Mani »seule  à cause de son Alzheimer.
Le professeur  arrive dans une atmosphère pontificale. Regarde « Mani » d’un œil indifférent. Consulte les détails mentionnés dans un dossier presque vide. Constate la disparition de la radiographie de la hanche cassée.  Cela a du se passer plus d’une fois, car furieux, il  a ordonné d’une manière sévère de la retrouver. Par précaution il  a glissé l’ordre de la refaire en cas ou on ne la retrouve pas.
Remarquant avec une grande déception  qu’il  n’a pas ausculté « Mani, »  je lui ai exprimé mon mécontentement sur la manière de traiter les dossiers. Un  médecin accompagnateur  m’a répondu fermement : «  On fait confiance  à tout ce qui est noté dans le rapport de nos confrères »
Jaugeant une tension qui commençait à monter, le professeur décide de calmer l’atmosphère en me demandant de lui fournir le maximum d’éléments concernant « la malade ».
Toute l’après-midi,  je me suis posée  la même question. La chef de service, a-t-elle caché la radio suite à notre bras de fer ?  Je n’oublierai pas sa dernière phrase pleine de menace !

Le même jour, en fin de matinée, deux réanimateurs sont venus m’expliquer tout ce que je devais savoir.  Deux jeunes gens très dynamiques avec des traits de visage doux,  un gentil sourire aux lèvres.
La femme a voulu partager  une anecdote. C’était plus facile d’introduire les explications ainsi. Sa grand-mère était dans la même situation que la mienne. On n’a pas pu lui faire l’opération pour mettre une prothèse au niveau de la hanche à cause de son problème cardiaque.  Elle a pu vivre six années, sauf qu’elle est décédée la veille de son mariage ! Elle riait de son destin. Je ne  savais plus si je devais  rire avec elle ou lui transmettre ma sympathie et mes condoléances.
Ce qu’elle attendait de moi c’est surtout une décision : prendre le risque d’opérer « Mani »malgré son insuffisance cardiaque  ou la laisser invalide mais avec plus de chance de vie ?
Me renvoyant  ma spontanéité, cette femme était pour moi un signe Divin. J’ai dis : « Mani » a assez souffert, il faut qu’elle rentre chez elle ».

Quelques jours après, nous sommes retournés à l’hôpital pour un contrôle médical.  Une foule de gens attendait.  « Mani » la doyenne (96ans) a eu l’honneur de passer en premier. Dans le bureau, une femme médecin nous a reçus.  Elle m’a expliqué que notre dossier concernait un autre confrère. Elle s’est éclipsée quelques minutes qui nous ont paru une éternité. Revient après un petit quart d’heure pour nous rappeler –encore une fois- que « Mani » n’était pas sa patiente. Consulte le dossier que nous avions fièrement  présenté accompagné d’une radio fraîchement sortie d’un  centre privé d’imagerie médicale.
Elle m’a rassuré sur la bonne évolution de la santé de ma grand-mère, m’a demandé de lui acheter  une chaise roulante sauf qu’elle  a oublié de lui prescrire un antalgique ou une pommade pour les escarres récemment formés. Elle n’a pas voulu  l’ausculter en me disant qu’elle me fait confiance !

Ma grand-mère a survécu aux malheurs et à la bêtise humaine jusqu’à l’âge de cent ans et dix huit jours. Quatre  années durant lesquelles je me suis livrée à d’autres combats…Combien sont ceux qui s’y perdent quotidiennement ?!!

 

Alger 10 Mars 2012.  (Date du premier anniversaire du décès de « Mani »).

P.S. :

Ce récit est une histoire vraie (Mai 2008).
Cette histoire,  je la souhaite l’exception qui ne confirmera jamais  la règle.
Honneur à celles et ceux qui m’ont marquée de part leur dévouement dans leur travail au sein de l’hôpital.
Le titre est une fusion  deux mots : CRISE qui donne phonétiquement  CRIZ et HOPITAL.

Farah Laddi – Texte / Text
Histoire écrite en français / Story written in French