Pour faire une thèse sur San Antonio

24 avril 2012

Temps de lecture : 3 minutes

Ma modeste personne a eu un jour l’idée saugrenue de faire une thèse de doctorat. Pour ce faire, je m’adresse à l’incontournable faculté des lettres d’Alexandrie. Je choisis mon sujet : ce sera le merveilleux San Antonio. Voilà-t-il pas que ladite faculté me mande d’aller voir si quelque autre génie n’a pas eu la même idée aux facultés du Caire, d’El Azhar (garçons et filles s.v.p., Dieu nous préserve de la mixité, un bébé ça arrive tellement vite). Point de fichier des thèses à consulter, point de moyen de communication moderne, point de courrier…il faut que je me déplace. Et c’est ici que l’aventure commence.
Arrivée dans la poussiéreuse, bruyante et surpeuplée capitale, je réalise cet exploit et je me pointe à la prestigieuse Université du Caire. Deux entrées se présentent à moi, je vais à la première on me renvoie dégoûté à la deuxième, je vais à la deuxième on me renvoie indigné à la première. Le « on » dégoûté contrôle mon identité et m’autorise à pénétrer le sanctuaire.
Une fois à l’intérieur je remarque que le bâtiment est superbe mais que les fonctionnaires sont beaucoup moins superbes. Je pensais que seules les carrières militaires faisaient des humains des sosies mais j’ai découvert que la bureaucratie régnante crée des similitudes étranges.
Les mêmes dames grincheuses, les mêmes bureaux disparaissant sous la paperasse, les mêmes gueules, tout.
M’aventurant dans un espace de 20 m2 couvert par 19 m2 de bureaux, je tente une requête timide et le cerbère interpellé m’ignore totalement. Entre temps, 3 nouvelles victimes (pardon étudiants) me bousculent et posent des questions destinées, elles aussi, à demeurer sans réponse. Toujours-est-il que la dame après avoir silencieusement consulté les astres et compris que j’étais quelqu’un de complètement inoffensif me tend un registre miteux. Vous auriez compris avant moi (vous qui êtes intelligents) qu’il fallait que je compulse moi-même cette horreur pour savoir si quelque audacieux cairote avait osé travailler sur San Antonio. Je prends mon air le plus sérieux et le plus affairé pour contrôler et je fais de mon mieux pour bâcler le contrôle. La confiance règne, la dame me croit sur parole et me prodigue un joli coup de tampon (vous savez les superbes tampons violets avec un oisillon de mauvais augure qui figure parfois sur les épaules de certaines personnes qui …bon j’arrête là) et me fait signer un papier comme quoi cette recherche a été faite sous ma responsabilité (tu parles ma vieille !!).
Vingt minutes et je suis dehors me frottant les yeux et essayant d’arrêter un taxi, vous savez ces engins noir et blanc qui, dans cette ville délicieuse, se font un plaisir de vous arnaquer et de vous em…bêter.
Quand je prononce : El Azhar, un premier chauffeur de taxi me dit à « Madinet Nasr », je lui réponds : « Dieu m’en préserve , non !! ». Un deuxième, lui, m’y emmène. Oh ! Surprise ! Au lieu de vénérables cheikhs, je rencontre un attroupement d’officiers qui me trouvent fort culottée de vouloir pénétrer dans la forteresse et me refoulent dégoûtés en murmurant : « il faut aller à « Madinet Nasr » Qu’est-ce qu’ils ont tous avec leur Madinet Nasr me dis-je !.
Re–taxi et en route vers le fief de mes chéris : militaires en tous genres. Leurs bâtiments, clubs, hôpitaux, locaux, bureaux, résidences et camps constellent le chemin. Quelle joie !
Les aiguilles de la montre se rapprochent dangereusement de l’heure où tout fonctionnaire qui se respecte commence à se dire qu’il a assez paressé aujourd’hui et qu’il faudrait rentrer chez soi.
Fort heureusement le taxi se rapproche d’une vaste étendue qui me semble être de la taille d’Alexandrie. C’est l’Université d’El Azhar où, je vous le rappelle, je suis sensée glaner deux signatures et deux tampons (l’un féminin et l’autre masculin : pour une gémeaux c’est parfait).
Miracle ! chez les filles, je suis accueillie par deux fonctionnaires sympa. Mais, ensuite il a fallu que j’attende Madame la directrice qui faisait sa prière. Je patiente, m’impatiente, me tape la tête contre le mur, rien à faire. Elle arrive de la mosquée, signature, tampon et re-taxi.
Chez les garçons, un petit soldat rachitique et anémique tente de m’arrêter, de m’impressionner et de me demander où vais-je. Je lui réponds candidement. Il me jette un regard suspect et me dit doucement
– il faut une écharpe pour couvrir la tête.
– Mais je n’ai pas d’écharpe.
– Il faut une écharpe pour couvrir la tête
– Je n’en ai pas.
– Alors il faut avoir la permission du colonel.
Je m’exécute et ce dernier civilisé (pour une fois) me laisse passer. Il est 13h45 je pense que je n’y arriverai jamais.
Et ben si ! Je suis reçue dans un bureau climatisé, par un monsieur charmant , qui m’offre à boire et envoie mon papier à signer et à tamponner. Mon expédition se termine en beauté et comme le disait ce bon vieux Maupassant : « La vie voyez-vous, ça n’est jamais si BON ni si MAUVAIS qu’on croit »

Nazly Farid – Texte / Text
Histoire écrite en français / Story written in French