Norman Spinrad, écrit Stéphane Nicot dans une anthologie de la SF intitulée Le futur a déjà commencé, est l’un des plus brillants auteurs issus de la new wave des années soixante-dix. Furieux contre les genres et autre catégories, Norman Spinrad déclare :
J’écris de la science-fiction parce que c’est elle qui offre la plus grande liberté créatrice. La science-fiction – ou plutôt ce qu’on appelle en anglais « fiction spéculative » (speculative fiction) – est la littérature qui explore l’interface entre un environnement externe mutant à une vitesse sans cesse croissante et la conscience humaine qui en résulte, laquelle se transforme aussi à une allure exponentielle.
John Campbell disait que la science-fiction – la littérature du possible – est la forme littéraire la plus large possible, et que la soi-disant « littérature générale » – la littérature de ce qui existe vraiment –, n’est qu’une déclinaison de la science-fiction parmi d’autres.
Cette définition de la littérature générale, littérature de ce qui existe vraiment, comme un sous-genre de la littérature spéculative ou potentielle, me semble à la fois juste et utile.
On me demande parfois : vous écrivez quoi comme romans ? Et je réponds : oh, normal, des romans classiques. Généralistes quoi. Zola, Balzac, hein, ce style-là.
Maintenant je vais pouvoir répondre : en fait, voyez-vous, je me limite à écrire des histoires à partir de ce qui existe vraiment. D’une certaine manière je n’imagine rien : la réalité s’impose à moi. Elle est cette matière première obligée, que je triture pour la rendre lisible. Comme un sabotier qui reçoit ses bouts de bois à creuser.
C’est un travail très laborieux, je n’ai pas le droit de tricher. Bien sûr je triche, comme tous les artisans, je fais de la SF en permanence, mais il ne faut pas que ça se sente, c’est très mal vu en ce moment vous savez les petits bons hommes verts, les délires galactiques. Moi j’exploite la niche écrivains qui ont une conscience et se mettent au service du vrai pour servir leurs contemporains, leur faire des beaux tableaux de leur misère. Une petite touche hygiéniste, pour une écologie du réel, à forte marge sur le produit. Généraliste, vous savez, c’est une niche, mais à forte valeur ajoutée. Si ça se voit que je triche, que je ne suis plus réaliste, ils vont me mettre hors-sujet, je n’aurai plus le label.
Alors quand on me dira pour poursuivre la discussion : mais pourquoi bon sang de bois vous vous imposez ça ? Je dirai que oui bien sûr c’est une vraie souffrance pour moi, une véritable blessure narcissique, mais il faut bien que j’admette que la littérature généraliste est un sous-genre limité qui me convient. Je n’ai pas le droit d’inventer de noms de pistolets lasers, ni de princesses plutoniennes. Mais de toute façon je ne saurais pas faire.
Le genre généraliste pour tout vous dire est réservé aux besogneux de la littérature comme moi, qui n’ont aucune fantaisie, qui pataugent dans leurs imaginaires creux, et qui, à force de labeur et de courbettes, se trouvent un public de gens pas très drôles, comme eux, qui respirent la mauvaise conscience et le fromage hallal-bio.
Parfois, le matin vous savez, avouerai-je, une larme complaisante à l’œil torve, je me lève et j’ai envie de m’amuser, de faire sauter la planète au nucléaire, de mettre en scène des ayatollahs trans-chiites de l’espace qui viendraient pimenter mes petites histoires, mais je manque de courage, et je continue à faire dans le réel, où on me dit. Du vrai vraiment vraisemblable si bien poncé que rien ne dépasse, et ma mère à chaque fin de mois est fière deux mois et je me tape même parfois une libraire quand ça va.