mercredi 22 juillet 2009, 02:43 ·
J’ai commencé à écrire « Journée ordinaire d’un médecin ordinaire » et certains amis ont demandé une suite. Ce petit texte pourrait servir de courroie de transmission le temps que la muse revienne rafraichir mes vieilles connexions synaptiques…
Je m’en vais vous raconter une véridique histoire.
Installé en cabinet depuis plus de 20 ans et soucieux de mes libertés j’ai aménagé mon temps de travail de telles manière à ce que je puisse sortir en mer avec mes amis pour pécher dans des eaux très claires. Chaque fois que la mer nous y invite et cela régulait mes stress et me préparait aux souffrances du lendemain. Travailler tous les jours jusqu’à 15 heures et prendre un mardi pour dormir de bout en bout, un repas par jour qu’il vente ou qu’il neige, une citerne de caféine du matin jusqu’au finish.
Les mardis je les laissais à mes copains de l’hôpital pour les aider à mieux gérer leurs fins de mois.
Un lundi soir mon remplaçant m’appelle pour me dire qu’il avait un empêchement et qu’il ne pouvait de ce fait remplir sa mission. Contrarié, j’ai du donc reprendre mon service pour éviter aux patients le désagrément de supporter leur douleur davantage. Il est d’usage que seuls ceux qui ne peuvent m’attendre viennent les mardis. J’arrive, mon assistante me toise avec l’idée de dire qu’est ce que vous faites là ? Je lui dis alors de rentrer chez elle si la salle d’attente est vide, le temps de jeter un coup d’œil et de repartir.
Il y a une dame qui demande à vous voir !
Que puis-je pour vous Madame ?
– Docteur, excusez-moi je suis venue d’abord vous voir pour vous demander si vous pouvez faire la circoncision de mon fils ?
– Prenez rendez vous pour jeudi 8h30 avant que mon assistante ne parte !
– C’est que Docteur j’ai tout préparé pour aujourd’hui, mon gamin a déjà 6 ans et c’est déjà un peu tard pour une telle affaire ! Et puis je suis surtout venue vous dire que je ne peux pas vous payer tout de suite, ne vous en faites pas, je vous payerai dés que j’en aurais les moyens, vous savez je peux vous laisser …..
– L’assistante est déjà partie.
– Allez ramener votre garçon et ne me parlez plus d’argent s’il vous plait !
– Je vous jure que je….
– Ramenez-moi votre fils Madame pour l’amour du ciel !
– Je ne savais pas ce qui m’a poussé à agir ainsi, elle est ressortie et je me suis subitement rappelé qu’il me fallait deux assistants pour m’aider à contenir l’enfant.
– Elle revient avec un jeune garçon les yeux hagards et la peur au bas du ventre.
– Son père n’est pas là ?
– Il n’a plus de père.
– Vous travaillez ?
– A vous je peux le dire : je me prostitue quand on a très faim et qu’il faille lui acheter les articles scolaires, mais soyez sans crainte je vous payerai vos honoraires !
– Ne me parlez plus d’argent s’il vous plait ! j’ai crié comme un forcené…
J’entends un bruit de chaise, je sorts pour voir dans la salle d’attente et là je retrouve deux gaillards en bleu de chine, des paysans d’un village voisin taillés comme des casseurs de pierre.
Vous deux ! Venez m’aider !
Anesthésie locale, petite tape sur le ventre pour dissiper la peur et un petit bout de chair dans le haricot. Pansé l’enfant est arraché de sa table de torture et remis sur ses deux frêles jambes écartées pour ne pas écraser ce qu’il exhibera de sa future virilité.
En me dirigeant vers mon bureau, j’adresse un clin d’œil au nouvel adhérent et je surprends le gorille de bleu vêtu qui lui écrase un billet de banque dans la petite main.
Vous le ramenez tous les jours pour changer de pansement, Mabrouk !
Elle sort et tente de pousser un youyou, mais l’émotion l’en a empêché, elle m’adresse un sourire mouillé aux larmes de sa misérable joie.
Docteur, c’est ma femme et ma fille que je vous ai ramenées, elles sont à coté
Je les examines, faites les venir !
Les deux femmes examinées, il frappe et s’approche pour payer les consultations
Je referme la porte après les femmes et je lui dis : Vous voulez payer ?
Que si !
Dites moi d’abord pourquoi vous avez donné de l’argent au gamin ?
Quel gamin ? Je n’ai rien donné !
Ecoutez cher ami : vous avez donné un billet de 1000 dinars
Mais je vous assure, je…
Hé Ho ! Je vous parle ! Vous me ramenez votre femme et votre fille du bout du monde alors que vous me prenez pour un aveugle ! Ce n’est pas un aveugle qui peut examiner et soigner votre fille !
Ne vous énervez pas Docteur, s’il vous plait !
Un enfant qui vient se faire circoncire accompagné de sa seule mère, habillé de la sorte, j’ai seulement pensé qu’il était plus malheureux que moi.
Je ne suis pas énervé mon cher ami, il fallait que je sache pourquoi vous avez fait ce geste. Je suis touché car vous êtes un Seigneur !
Allez prenez vos ordonnances et bonne route !
Mais Docteur je vous dois….
Rien !
Merci Docteur, de toute façon je n’avais plus de quoi vous payer….
J’ai pété les plombs dans un fou rire à me tordre la nuque.
Sacrée journée !
Le temps de tout ranger et au lit pour oublier toutes ces émotions.
J’ouvre la porte du bureau donnant sur le couloir et là je suis assailli par une nuée de patients anxieux de me voir habillé pour partir.
Allo, c’est moi, désolé je ne rentrerai que vers 20 heures !
Tu es en mer ?
Non j’ai du travail.
Dieu me l’a rendu…..
Dieu vous le rendra !
Abdelhamid Khadraoui – Mars 2009 / March 2009 — Texte / Text
Histoire écrite en français / Story written in French