Les deux amies

8 mars 2012

Temps de lecture : 3 minutes

Hélène faisait partie d’un de ces groupes de pieds-noirs qui, à partir de 2004, revenaient voir la ville qui les as vus naître, la maison où ils ont vécu, le quartier de leur jeunesse. Dès que je l’ai vue descendre de l’avion, avec sa démarche hésitante, j’ai eu le pressentiment que je n’allais pas sortir indemne de cette rencontre. Sylvie et elle, septuagénaires toutes les deux, étaient les doyennes du groupe. Mais autant la première était énergique, autant Hélène marchait avec difficulté, le haut du corps penché sur le côté. Autour de notre premier déjeuner dans un self-service d’Oran (je partageais la même table qu’elle), elle m’explique : «Un soir, alors que je dormais, le plombage de ma dent est tombé et, en respirant, il a pénétré dans mes bronches. Mes poumons ont été infectés et j’ai dû me faire opérer. Après l’intervention, je n’ai plus retrouvé mon corps d’avant»…
Après la tournée des quartiers, la visite de Santa-Cruz et du cimetière, Hélène nous fait part de son envie de revoir son lycée. Nous nous rendons alors au Lycée El Hayat (Ex Stéphane Gsell). La directrice, excellente femme, nous accueille les bras ouverts et, sur la demande d’Hélène, rapporte le registre des élèves du début des années 60. Hélène retrouve son nom sur la liste des élèves de sa classe de terminale, mais ne s’y arrête pas et poursuit la lecture. Soudain, elle pose le doigt sur un nom : «C’est elle que je cherche», nous dit-elle, l’émotion aux bords des yeux. «C’était mon amie et j’aimerais tant la retrouver !». La directrice et moi lui promettons que nous allions voir ce que l’on pouvait faire, même si la tâche semblait compliquée. Comment retrouver, en 2006, une Algérienne qui a dû, entretemps, mariage oblige, changer de nom et peut-être changer de ville ? Hélène insiste et nous replonge dans le début des années 60. «Mon amie habitait la petite ville de Sainte-Barbe du Tlélat, située à une trentaine de kilomètres d’Oran et vivait en internat dans le lycée. Alors, souvent le week-end, elle venait chez moi, dans le quartier juif. Pendant les vacances, j’allais passer quelques jours dans sa famille. Nous étions très liées. Et puis, un jour, mon amie ne s’est plus présentée au lycée. J’espérais la revoir mais les jours passent et elle ne donne pas signe de vie. Quelques jours après, je reçois une lettre. C’était elle qui m’écrivait. Je n’oublierais jamais ses mots. Elle me disait : «Ma chère amie, je tiens à te dire que je me suis engagée dans la lutte de libération de mon pays du joug colonial. Je rejoins le maquis. Mais quelques que soient les circonstances et ce que nous réserve l’avenir, tu resteras à jamais mon amie et je te garderai toujours une place dans mon cœur». Je ne l’ai plus revue depuis. L’indépendance est arrivée et je suis partie en France. Je reviens aujourd’hui pour revoir ma ville et avec l’espoir de retrouver mon amie. Si vous pouvez faire quelque chose, je vous en serais reconnaissante».
Difficile mission dont vient de nous charger Hélène ! Mais j’ai déjà assisté à bien des miracles à Oran. On dirait que le monde se met au service des gens de bonne volonté. Le milieu enseignant, aiguillonnée par la directrice, se met alors en branle, sollicitant le téléphone arabe et les kabyles téléphoniques. Et puis, un jour, j’apprends que la dame a été identifiée ; c’était l’épouse d’un inspecteur de sciences naturelles. Malheureusement, après le décès récent de son mari, l’amie était partie en France, installée à Paris… Hélène n’étant pas connectée au net et ne disposant pas de téléphone, je ne savais comment lui faire parvenir l’information…
Et puis en 2009, je reçois un coup de téléphone de l’agence de voyages qui m’employait, de temps en temps, comme guide. On m’apprend que je devais passer pour récupérer un paquet. Sur le paquet, il y avait un mot mentionnant «De la part d’Hélène Banjo». Accusant le choc, je demandais, un peu énervé : «Hélène est venue ? Pourquoi ne m’en avez-vous pas informé ? J’aurais tant aimé la revoir et lui dire que nous avons réussi à localiser son amie». On me répond : «Ne t’en fais pas pour cela. Grâce à l’aide des enseignants d’Oran, Hélène a retrouvé son amie à Paris et elles se voient régulièrement».

Abdeslem Abdelhak – Texte / Text
Histoire écrite en français / Story written in French