Il est plus de 6 heures, le bateau quitte le port de nuit, et par miracle je suis dessus, après avoir passé la journée au commissariat. Heureusement que Déborah, la sainte patronne de l’Anisette, qui est le bar-restaurant de l’Institut français, était là pour m’aider.
Sur le pont ils sont trois à fumer avec des blousons gris coupe-vent Sud-expé. Je me rapproche pour du feu. Le fils doit avoir 11 ans, un jeune gros timide. Il est avec son père et un ami du père. Le père m’explique qu’ils sont une quarantaine comme eux, des couples, pas mal de vieux, des Belges, à trois ou quatre, à partir à l’aventure tout le mois en 4×4 rehaussés par les mécaniciens-baroudeurs de Sud-expé. Le Maroc, puis la Mauritanie, le Sénégal… le désert, la jungle. Il y a bien quelques bivouacs, mais les haltes se font la plupart des nuits dans les meilleurs hôtels des pays. Les Belges ont la plus belle bagnole, semble-t-il, un 4×4 à 100 000 euros, tu imagines, moi ce prix-là je préfère acheter du neuf, enfin si ça leur plaît.
Le père est chauffeur de taxi à Forcalquier, dans le 04. Il travaille toute l’année, sept jours sur sept. Cette fois, pour fêter 2012 il s’est payé un beau mois de vacances, toujours à conduire, mais cette fois en Afrique sur des pistes, sur des plages de sable fin, toutes les plages de la Mauritanie, car l’Est du pays n’est pas sûr, déconseillé par le ministère des Affaires étrangères. Un rêve de conducteur. Un petit Paris-Dakar à la coule. Et puis le petit, ça lui fait des souvenirs.
Le dépliant explique : Grande fête en pays Dogon, point d’orgue de ce voyage extraordinaire. Puis des haltes pour la visite de lieux exceptionnels : deux nuits successives à Mopti et Dakar, demi-journée à Saint-Louis. Un mélange de tourisme classique et d’aventure mécanique.
http://www.sudexpe.com/22-raid-bandiagara-afrique-noire.html
Il commence ensuite à m’expliquer tous les tarots, environ 1 500 pour un mois, plus le roadster et le gazoil, et qu’il a fait une affaire en achetant lui-même le GPS spécial qu’il faut pour ce genre de pays, 300 euros de différence.
Je m’enferme dans la cabine pour faire le point, range mes affaires jetées à la hâte dans le sac de voyage. Je suis dans un état de colère fébrile : j’ai été négligent, j’aurais dû éviter l’accroc d’hier. La traversée va être une longue gueule de bois à flotter, le bateau ronronne et tremble sur une mer d’huile, comme pour jouer au piano sur mes nerfs. Le seul livre emporté est un mauvais thriller espagnol mal traduit. Mon 4×4 est un peu défoncé mais le raid-aventure Histoires Vraies continue.