Maria et ses chiens

5 janvier 2012

Temps de lecture : 3 minutes

Un jour plus tard, il faut quitter la cabine pour que les corsaires italiens du Marina Excellent cleanent un peu pour les prochains à venir. Nous arrivons à Tanger dans deux heures.

Maria est serbe de Bosnie. Elle me demande si je peux garder ses sacs pendant qu’elle va quelque part. Je me suis installé pour attendre sur la moquette rouge à motifs marins, un mauvais thriller espagnol aux deux-tiers dans les mains. Elle revient bientôt avec ses deux clebs et son gros ventre enceinte. C’est la petite la chef, m’explique-t-elle. Un minuscule bâtard de Jack-Russel Terrier, sans laisse, s’agite autour d’un gros berger allemand. Quand Kira se bat avec les pit-bulls dans le parc, je peux te dire que je suis fière. Mais avec Nina, elle se tient à carreaux, elle a cinq ans de plus, elle respecte ça, malgré la différence de taille.

Un équivalent de Nina, un chien gentil mais possessif

Depuis quelques années, Maria part seule avec voiture et caravane au Maroc, pour y vivre un bon moment, et puis elle a trouvé un business qui fonctionne bien : elle achète de l’huile d’argan en grosse quantité, des bidons de cent ou deux cents litres, puis elle les ramène ensuite en Italie, où elle est installée depuis que la guerre a chassé sa famille d’abord vers Belgrade puis hors de la Serbie, par manque de travail. Elle vend en gros, mais ça lui laisse une bonne marge pour elle, ses chiens, et bientôt la petite.

Enfin, je ne sais pas, mais j’aimerais tellement que ce soit une fille. Le père il ne sait rien, c’est un imbécile d’Italien, un bon à rien, à trente-trois ans il vit encore chez ses parents, il ne travaille pas… je préfère être seule, je sais que je peux compter sur moi-même, les autres je ne suis pas sûre. Et puis l’idée de me traîner ce tocard toute ma vie… On s’est rencontré j’étais en train de chercher sur internet pour me faire une insémination artificielle. Je vais avoir 40 ans. Il y a cette banque de sperme au Danemark, très réputée, ce n’était même pas une question d’argent, je pouvais payer, mais bon ça s’est trouvé que je n’ai pas eu à acheter de sperme. Je ne vais pas lui dire, il voudrait qu’on se marie, il m’a déjà trop pris la tête, enfin, on conserve quelques liens d’amitié de loin, je fais ça pour la petite, quand je pense que je suis obligée d’écouter ses conneries au téléphone… Mais c’est bien aussi, si jamais elle me demande, quand elle sera grande, à l’adolescence, je pourrai lui dire, voilà, c’est untel… tu en fais ce que tu veux… si tu veux le voir tu peux… Comme ça elle saura, elle ne restera pas dans le doute. Mais pas question de vivre avec ce mec. Je veux retourner à Goa, j’y ai passé huit ans. L’Inde, voilà un pays que j’adore, et puis pas cher. Je déteste l’Europe. Je suis obligée de faire confiance, comme je te fais confiance pour garder les sacs, ou comme je fais confiance au capitaine de ce bateau, mais au-delà de ça non je mets mes limites, je suis partie, j’étais hippie à 18 ans, j’ai même voulu peindre, écrire un livre. Mes parents m’ont trop fait de misères, non la famille moi être avec ce con toute ma vie, je ne peux pas. Toute seule avec mes chiens je suis mieux, et je me concentre sur une seule chose, faire de l’argent, il n’y a que ça qui compte, fini les dispersions, les envies artistiques, maintenant je travaille dur, je fais de l’argent je veux être libre. Il n’y a que ça qui compte. Je n’ai jamais rien demandé à l’Etat, il ne m’a jamais rien donné, en échange je ne lui donne rien, et ce sera comme ça. Qu’il m’oublie lui aussi.

Le bateau cesse de trembler et nous piétinons tous d’impatience comme si l’air frais avait manqué en mer. Maria s’en va rejoindre sa caravane, je préfère que l’on se serre la main. Puis elle ira camper près de la mer, son petit terrier possessif sur le ventre, le gros couché dans le lit à sa droite. Moi je retrouve sur le quai le garçon de cinq ans que j’avais aidé à porter des affaires à l’embarquement. Il vient me voir, me sourit, tenant à la main son petit frère. Je lui demande s’il a fait bon voyage. Quelques années de plus et de moins, on serait allé boire un verre.