Je m’intéresse depuis longtemps à l’Art brut, ou plus généralement à l’outsider art. Bien sûr les créations brutes sont souvent marquantes, mais c’est avant tout le personnage derrière la création qui me fascine. Au fond, le personnage raconte l’histoire de l’œuvre.
Je relis les notes prises sur un livre-entretien de Laurent Danchin avec Chomo (Chomo par Roger Chomeaux, Paris, Éditions Jean-Claude Simoën, 1978), qui à la fin des années 70 vivait seul au milieu de la forêt de Rambouillet dans une immense cabane-chapelle, avec ses constructions brûlées en bois à flotter.
L’homme doit se recroqueviller sur lui-même et ETRE QUELQUE CHOSE, dit Chomo.
N’est-ce pas tout l’inverse de ce projet de collecte d’histoires vraies ? Et pourtant je sais qu’il a raison. Se recroqueviller est l’étape essentielle, le temps du tri, de l’écriture. Mais d’abord faire les courses, remplir sa grotte de miettes de graines.
Mon œuvre, dit Chomo, c’est la fossilisation de tous les objets que je vais rencontrer sur ma route.
Je me suis dit : deux solutions, ou je vais être momifié par l’épreuve, ou je vais momifier. Et depuis je momifie. Car si je ne momifie pas les objets qui m’entourent, ça sera moi qui serai momifié.
Quand on arrête d’écrire, les personnages continuent sans nous. Ils n’ont pas besoin de nous, mais nous avons besoin d’eux.
La nécessité de fabriquer une œuvre, quelle qu’elle soit, c’est-à-dire de donner vie à quelque chose, est l’expression de notre volonté de ne pas se laisser mourir sans rien dire. Tant que je fossilise, je ne renonce pas. D’ailleurs on me fait signe que j’existe :
Y’a des oiseaux dans la forêt qui racontent de choses de leurs petits sifflements. Et comme moi, je suis un imaginatif, j’arrange ça à ma façon.
Y’a un petit oiseau qui fait : istu ! Istu ! Istu ! Ça y est, il est en train de me dire : Tu te tues, Chomo, au travail. Et c’est la vérité, je me tue dans mon travail. Alors je lui réponds : je t’emmerde avec ton histoire ! Je ne me tue pas du tout.
Et puis il y en a un autre qui fait : Tu n’iras pas à Siféri. Ça veut dire : tu n’iras pas dans la planète Siféri.
Siféri, c’est une planète délicieuse où il n’y a que des arbres et des anges. Alors en arrangeant ça, on comprend : si tu continues à te tuer, tu n’iras pas à Siféri !
Mais Siféri est loin encore, et s’il s’arrête, s’il ne travaille plus, que va-t-il lui arriver ? Alors Chomo poursuit son œuvre.