Cette histoire est tirée du volume 1 des Histoires vraies du dedans dans le cadre des ateliers menés en 2015-2016 dans les centres pénitentiaires des Baumettes à Marseille et Toulon-La Farlède, le centre de détention de Tarascon et à la Valentine, dans l’établissement pénitentiaire pour mineurs.
C’était en 2010, j’étais avec des amis et on s’est dit qu’on allait descendre en ville. On est partis à plusieurs pour nous distraire : « Allons dans un bar, un restaurant, où on pourrait boire ! ». On a pris des bières pression, à 2 lei. Et on a commencé à boire, on a mangé, on a bu, il y avait du monde, de l’animation, de la belle musique, on a passé un bon moment. Là, l’un d’entre nous qui était plus âgé que nous, dans les 28 ans, a proposé comme quoi on pourrait aller au casino, pour jouer, puis on pourrait aller ensuite en boîte. Moi, et un de mes potes, on n’était pas très argentés, tout juste si on avait 10 lei sur nous, 5 euros d’ici (plutôt 2,5 €). On a dit on n’y va pas, parce qu’on n’a pas d’argent. Puis on a changé d’avis : « Allez, on va tenter notre chance ». On a pris le bus et on est partis. Sur le trajet, on a repris ça, on était tous joyeux, tout était tout beau, on dansait dans le bus, on rigolait. On s’est arrêtés en face du casino, on y est entrés, et certains des potes se sont installés aux machines. Ils ont essayé de m’attirer à plusieurs sur une machine mais moi j’ai voulu m’y mettre seul. Et je me suis dit : « Dieu aide-moi ! ». Dieu t’aide pas à gagner contre le manchot, mais je m’y suis mis en espérant qu’après, je pourrais aller me distraire en discothèque. J’y ai placé tout mon espoir et je me suis mis à jouer. J’ai mis des pièces, j’ai joué quelques parties, et j’ai gagné un million (en juillet 2005, le “leu ancien” a cédé la place au “leu lourd”. Ainsi, le billet de 10 000 lei a été
remplacé par un billet de 1 leu) ! 25 euros ! Croyez-moi, j’étais tellement heureux ! Seigneur, j’ai gagné, j’y crois pas ! J’ai gagné ! Je peux aller en boîte et rigoler ! J’étais tellement joyeux ! J’étais prêt à rentrer chez moi, pour me changer et aller en boîte ! J’ai dit aux autres : « J’ai gagné un million, qu’est-ce qu’on fait, on y va ? ». Ils ont dit « Attends, on reste un peu ». Alors, je suis allé à la roulette. Et là, j’ai lancé, malchance, mais c’était mon numéro préféré, ma date de naissance, alors j’ai lancé sur le 15, et je me suis dit que c’était bête, j’ai seulement misé 1 leu (10 lei) et puis je suis retourné vers les machines à sous pour regarder les copains, pendant que la roulette tournait. Et vous savez, on entend une voix qui vous annonce le numéro qui est sorti. Quand j’ai entendu que c’était le 15, j’ai sauté de joie ! « Je peux pas y croire ! » Et j’ai gagné 3 millions et demi (87 €) ! J’ai tout de suite donné 500 000 (12,5 €) à mon pote qui n’avait rien du tout, et j’ai dit, allez, on va en boîte ! À la maison, on s’est habillés, je ne savais plus quoi me mettre, j’ai même téléphoné à un pote : « Hé, t’as pas quelque chose à me prêter ? Qu’on soit assortis, que je me sente comme un roi ! ». Lui, il prend ses affaires et il vient chez moi pour qu’on se prépare ensemble. Il s’est habillé avec des trucs à moi, moi avec des trucs à lui, chacun de nous essayait de trouver les vêtements qui lui plaisaient le plus. Finalement, je lui ai emprunté une veste, c’était en hiver, un temps d’hiver, il faisait froid. Et j’ai enfilé une chemise qui était assortie à mes chaussures… Et de là, nous voilà partis… En route, on rigolait, on croisait des filles, on les klaxonnait, c’était super, vraiment, il neigeait dehors, la lumière, dans l’obscurité, sur la neige, tout était blanc, on était vraiment, vraiment contents et on s’amusait beaucoup.
Vers les 11 heures du soir, on arrive à la discothèque, dans un village loin de chez nous : de Timişoara, ça faisait dans les trente kilomètres, le lieu de la destination où nous devions arriver. Quand j’ai vu l’endroit, ça m’a fait un choc, ça ressemblait à une écurie. Il y avait une grande sastue (sic) d’un dieu, comme qui dirait un pharavon (sic)… Je me disais, « Qu’est-ce qu’on va faire avec les chevaux, c’est quoi cette écurie ?… » C’était le comble.
En ouvrant la porte j’ai vu l’intérieur, c’était magnifique, les murs n’étaient pas chaulés, c’était fait seulement de, comment on dit, de briques. Et c’était très très bien fait, très bien créé. Je me disais, incroyable comme ça peut être moche à l’extérieur et si beau à l’intérieur ! Je vous dis, ça m’a fait un choc. Je me disais déjà que je reviendrais souvent dans cette discothèque. On a pris une table, puis la barmaid est venue, elle était superbe, je me suis même dit : « Qu’est-ce qu’elle est chouette ! ». Partout, des belles filles, de la super musique. On a pris ce qu’on voulait. Le truc qui était rigolo : on montait sur la scène pour danser, et quand on retournait à table, hop, plus de boissons ! On a repris des boissons, on est retournés danser et là, de nouveau, nos verres avaient disparu !
Puis j’ai fini mes cigarettes. Dans la salle, on ne trouvait pas celles que j’avais l’habitude de trouver en ville. La femme m’a dit : « On n’a pas ce genre de cigarettes », alors j’ai demandé « Où on est, là, madame ? On est dans un autre pays ? ». Et elle me répond : « On n’a pas cette marque, elles sont très chères et par ici personne ne fume de ça ». Moi, ça me faisait un choc. J’avais demandé des Parliament. Ils n’en avaient pas. J’en revenais pas. Ils avaient des Lucky Strike. J’ai pris ça.
Ah, je me souviens, ils n’avaient pas un chauffage à gaz, ils avaient un chauffage au fioul. Et ça vous cramait en pleine face, ça vous donnait l’impression d’avoir bu deux fois plus, si t’avais bu deux bouteilles, t’avais l’impression d’en avoir descendu 10 ! Donc tu démarrais à toute vitesse. J’ai demandé à la patronne, la chef, la barmaid, je sais pas qui c’était, cette personne, qu’elle l’éloigne, que c’était trop fort et qu’on pouvait plus rester comme ça, il faisait trop chaud. Elle a accepté notre proposition, vu qu’on avait fait une grande consommation : j’ai dépensé tout l’argent que j’avais, mais au moins je me suis amusé. Elle a écarté le chauffage, on a repris à boire, et pendant ce temps, moi, j’étais bien soûl. J’ai commencé à danser avec des amis. Et j’ai vu dans un groupe des filles très belles. Je suis entré dans leur groupe, pour danser, mais elles m’ont refusé. Des gars sont venus vers moi et m’ont demandé : « C’est quoi ton problème ? ». Mes amis ont vu que ça pouvait mal tourner alors ils m’ont rejoint. Ils m’ont demandé ce qui clochait et moi, pour éviter le scandale, j’ai dit que c’était ma faute, que je m’étais incrusté au milieu de leurs filles. Les gars, ils ont commencé à nous chercher, parce qu’ils ont vu qu’on avait peur. Ils ont vu que je battais en retraite et ils ont commencé les intimidations. Nous, on s’est dit, on est pas dans notre zone, on est dans un village, on va se retirer. On est loin, si ça continue comme ça on rentrera à la maison en petits morceaux. On se retrouvera à l’hôpital.
Un de mes amis avait un pistolet sur lui, là, sur la ceinture. Il a levé sa chemise et il a dit : « Vous voulez faire connaissance avec mon flingue ? » Les gars, quand ils ont vu ça, ils ont fait un pas en arrière. Moi, j’ai retrouvé tout mon courage, quand j’ai vu ce qu’il avait à la ceinture, mon ami. J’avais tellement la niaque que je suis allé au DJ, j’ai demandé des dédicaces, sans payer, j’ai pris les filles, je dansais avec elles, je me marrais à fond. Puis mon pote, celui qui avait le pistolet, il est sorti pisser et un gars en a profité pour faire semblant de s’empêtrer et il est tombé sur moi. Étant donné que j’avais trop bu, je me suis étalé, mes amis m’ont relevé, j’avais une égratignure à la jambe, et moi, comme j’étais bourré, j’ai plus trop évité la bagarre. Moi aussi je les ai cherchés. Comme j’étais ivre, je ne sais plus comment j’ai fait, mais je l’ai frappé. Il m’a renvoyé un coup de poing, je me suis retrouvé par terre, je me suis ouvert le nez. Je me suis relevé et c’est à ce moment-là qu’un autre type m’a serré les mains dans le dos pendant que l’autre me frappait. À ce moment-là, mes amis ont bondi, ils ont vu que la situation était très grave, ils ont fui dehors, je me suis retrouvé tout seul, et là c’est à plusieurs qu’ils sont tombés sur moi : ils me donnaient des coups de pieds, j’étais dans un coin, je me suis recroquevillé, je me serrais la tête entre les mains et je criais « À l’aide, à l’aide ! ».
Je peux vous dire que je me suis réveillé im-mé-dia-te-ment. Je savais que je n’étais plus soûl, j’étais bien éveillé, comme si j’avais jamais bu. En me frappant, ils m’ont ouvert l’arcade, ici, ils m’ont bien tabassé, j’en pouvais plus, j’avais super mal, dans les côtes, je crevais de douleur. Puis mes amis sont revenus avec celui qui avait le pistolet. Il a tiré une balle dehors et il a dit : « Si vous arrêtez pas tout de suite, je vous tire dessus ! ». Mais la bagarre a continué. On s’est beaucoup battus contre eux. Puis, parmi les gens qui étaient là, certains ont eu pitié de ce qui nous arrivait, et ils nous ont aidés à sortir et à remonter dans nos voitures. « Vite vite, partez ! ». Notre caisse ne démarrait plus à cause du froid, on patinait, aussi. Des mecs, pour nous voir partir et que la bagarre s’arrête, ils ont poussé. On s’est cassés de là.
En route, tandis qu’on roulait, on était mal, on rigolait les uns des autres parce qu’on était tous amochés, pleins de sang, et mes potes m’ont dit : « Alors, c’est comment la vie quand on s’marre ? » J’ai répondu : « Super cool ». « – Tu regrettes pas ? ». «- Non, mais demain je vais avoir mal partout. Maintenant je ne sens rien mais demain, ce sera une autre histoire »… Quand on se sentait mal on arrêtait la voiture et on descendait dans le fossé. Les autres passaient près de nous, on dégueulait. Tous autant que nous étions, seul le chauffeur était clean. On était tous pétés. Et on rigolait. Alors arrive la police, nous demande ce qui nous arrive, on dit qu’on se sent mal en revenant de boîte, le flic a fait souffler le gars qui conduisait, il a vérifié la voiture, et en voyant qu’on était en règle, il nous a demandé si on avait besoin d’une ambulance. On a dit que non, on n’avait besoin de rien mais on vomissait toujours dans le fossé.
Puis, chacun est rentré de son côté. Mon pote et moi, on restait dans la voiture. Je me demandais comment j’allais rentrer chez moi et ce que dirait mon père en me voyant, parce qu’il allait me battre comme il faut, quand il verrait ça. Mon pote me rassurait « C’est rien, vient dormir chez moi, ou alors je te raccompagne, ça ira ! ». J’ai refusé sa proposition, je me disais que quoi qu’il arrive, je rentre chez moi.
Pour arriver dans ma chambre je devais passer par celle de mon père. J’ai donc frappé, il m’a ouvert la porte, moi je me tenais là tout plein de neige. Il m’a demandé : « Qu’est-ce qu’il t’arrive ? ». «- Je suis tombé de luge ». Je lui ai menti en disant que j’étais tombé pendant que je faisais de la luge ! J’étais plein de sang, j’avais du sang qui coulait de partout ! Et je lui ai dit que j’étais tombé de luge. Je tenais pas bien droit, et en voyant ça il m’a demandé si j’étais malade. « Non, je suis pas malade, j’ai mal à la tête, je me suis cogné quand je suis tombé de la luge ». Alors papa me dit : « Va te mettre au lit, couche-toi ». Moi, je suis pas resté allongé, je suis allé mettre une bouteille d’eau au frigo et quand elle a été glacée, je l’ai appliquée là pour que ça désenfle. J’avais très mal, je ne savais pas quoi faire, et à un moment donné le sommeil a été le plus fort, je me suis allongé, tout tournait avec le lit, je savais plus dans quelle direction j’étais, et je me suis endormi sans savoir comment. J’allais vraiment, vraiment mal. Mais c’était super.
Koko, Tarascon 2016. Traduit du roumain par Laure Hinckel.