Cette histoire est tirée du volume 1 des Histoires vraies du dedans dans le cadre des ateliers menés en 2015-2016 dans les centres pénitentiaires des Baumettes à Marseille et Toulon-La Farlède, le centre de détention de Tarascon et à la Valentine, dans l’établissement pénitentiaire pour mineurs.
Je suis de Ialomiţa, Urziceni, Roumanie, on m’appelle Le Prince. Quand j’avais 6 ans, papa s’est retrouvé en prison pour crime. On avait du terrain avec du maïs, du blé, de tout. Obligatoirement, personne n’était plus là pour faire à manger. Maman m’a alors appris à faire la mamaliga (bouillie de maïs – équivalent de la polenta italienne) et le pain. Je pétrissais, je mettais de l’eau au congélateur. De chez nous jusqu’au maïs il y avait 3-5 km à pied. Je faisais cuire les haricots pour maman et pour mes grands frères.
J’ai énormément volé. On était d’une pauvreté extrême. J’ai vécu dans un village où on nous huait comme « Voleurs ! » parce qu’il y avait pas pires que nous, et parce que papa était enfermé pour crime. On était très vexés, très malheureux. Maman à l’époque travaillait à la ferme collective. Et elle aussi elle volait de l’avoine, du mais ou du blé pour nous élever. On était nombreux, 5 gars et 2 filles, et je sais pas, on était très très affligés. On volait des poules, des porcs. À un moment donné, j’étais plus grand, j’avais 12-13 ans, j’allais voler des fruits dans les jardins, chez les voisins et j’allais au marché pour faire un peu d’argent et acheter un peu autre chose pour maman et mes frères. Et je sais pas, j’ai grandi comme ça. À l’époque il y avait pas encore des caméras, des alarmes, et je volais toutes sortes de choses, des parfums, du shampoing, tout ce qui me tombait sous la main.
Je me suis pas marié avant l’âge de 21 ans ! Et quand je me suis marié je suis venu ici, dès 2002-2003, en France.
Quand ma femme a eu 18 ans je l’ai amenée. On ne savait pas bien comment faire, j’ai volé un peu de produits cosmétiques, d’essence, un peu de cuivre… Pendant ce temps mon frère a commencé à jouer un jeu de hasard qui s’appelle barboute (jeu de dés, également connu dans les milieux interlopes français), qu’on joue avec des dés. Tout ce que je volais dans les magasins, je le vendais même pas moitié prix aux Arabes, dans les taxiphones, les kébabs, et il y avait aussi une sorte de foire où on vendait tout en posant les choses par terre, à moitié prix. Finalement, j’ai accumulé un peu de sous. Je me suis débarrassé de mon frère, de Toni qui m’avait exploité quand je mendiais… Je lui ai donné ce que je devais lui donner… J’ai forcé une maison, une petite, et j’y mettais ce que j’avais volé : un ordi portable, un vieux téléphone mobile… Mais mon frère me suivait et quand j’étais parti pour mendier, il rentrait chez moi et il me volait ce que j’avais pour jouer aux jeux de hasard. Finalement, il y a eu l’ouverture de Western Union pour envoyer de l’argent à la maison, 20, 100, 70… Peu à peu, j’envoyais ça. J’ai donc peu à peu économisé et vers 2007 je peux dire que j’avais des sous et là où on vivait, tout le monde n’avait pas de l’argent comme ça. J’avais environ 26 000 euros de côté. Quand mon frère, qui s’était fait une maison en terre, en Roumanie, une même pas finie, a vu ce que j’avais, il est devenu d’une sacré jalousie, il me frappait, il m’insultait. En 2007-2008 je me suis construit une jolie maison tout seul, jolie, deux chambres, une cuisine, je n’ai pas encore fini la douche complètement parce qu’on n’a pas encore fait l’adduction d’eau. Et en 2013 je suis tombé pour mon frère et ma femme… Je me suis retrouvé en prison. Voilà comment :
En 2013 j’avais encore plus d’argent, 36 000 euros cash, cachés chez un de mes voisins. 8 500 donnés à mon frère, 6 000 à Toni. Mon frère me demandait des sous, je lui ai donné 4 000 euros dans le dos de ma femme, et 4 000 officiels.
J’allais à une foire, la dernière avant de me retrouver en taule, qui s’appelait Fos-la-Mer, 2011. Une période où j’ai commencé à voler énormément, des marteaux piqueurs, des meuleuses, des tronçonneuses, énormément d’outillage et beaucoup de cuivre, en gare et ailleurs. Un jour j’étais avec mon frère et on voit sur un rond-point des filles qui faisaient le trottoir, pardon de l’expression, des prostituées. Il y avait une Roumaine de Bucarest qu’on ne connaissait pas, une Bulgare et deux autres de je ne sais pas où, des Françaises. On y va deux ou trois fois, et mon frère, mon propre frère auquel j’ai donné tout cet argent, il a été cherché ma femme en lui disant : « Viens voir ce que fait ton mari ». Il lui a montré, elle a vu où j’allais, que je payais, quoi, 20 euros. C’était à l’arrière de la foire, bref ils m’ont suivi. Je faisais ce que je faisais. Au retour à la maison, scène de ménage. Ma femme me demande de jurer. Je me suis engueulé avec mon frère. J’ai bien envoyé quelques baffes à ma femme, mais c’est mon frère, cet escroc, qui est allé chez les flics, et ce salaud, je ne sais pas comment il l’a embobinée, il l’a séduite.
J’ai écopé d’un an de prison. Et ce que je n’avais pas su c’est que c’était sur la déclaration de ma femme. C’était un complot de mon frère et de ma femme. Ils m’ont accusé de l’avoir menacée de mort avec un couteau, de l’avoir envoyée sur le trottoir, contrainte à la prostitution, etc. Ils ont fait de moi le grand responsable, une sorte de parrain. Finalement j’ai fait 15 mois parce que j’avais un reliquat, je sais pas comment on dit, de sursis, et même trois. 1 mois, 3 mois, 6 mois.
À ma sortie après ces 15 mois, j’ai été directement expulsé en Roumanie. J’ai sacrifié un cochon, normal. J’ai pas attendu plus de 4 ou 5 semaines et je suis rentré en France où ma femme était restée. Je reçois un coup de fil de ma belle-sœur qui me met au parfum comme quoi mon frère, l’escroc, il l’a trompée en couchant avec ma femme Claudia, et trahi moi, son frère. Ça a été un choc pour moi. Elle m’a raconté aussi comment il m’a maudit, chez nous on maudit sur l’argent, sur la tête, sous la ceinture…
Mais avec tout ça on s’est pas engueulés mais j’ai demandé des explications. Alors là, il a été chercher sa femme, il l’a attachée avec du fil barbelé, vous savez, avec des pointes et il l’a frappée avec une chaîne parce qu’elle m’avait raconté qu’il l’a trompait avec ma femme. Mais moi je croyais davantage ma belle-sœur que lui : c’est elle qui m’a élevé. J’ai cherché à comprendre : « Dis-moi si c’est vrai, parce que si c’est le cas, ma femme Claudia, je la tue moi-même ». Chez nous, la loi dit qu’il faut la tondre et la jeter à la rue, toute nue, ce sont les lois de nos ancêtres. Pire, j’ai appris que mon neveu avait couché avec elle en premier. Moi je pensais à un seul truc : j’ai des frères, j’ai des oncles dans le vaste monde, des hommes qui connaissent la vie, qu’est-ce qu’ils vont dire devant tout ça ?
Mon frère est allé boire. Comme on trouvait pas la vérité, j’ai dit : « C’est toi ou moi ». Je suis allé chercher un sabre que j’avais mais j’ai pas voulu le tuer ou le blesser, je voulais lui faire peur pour qu’il dise la vérité et que si c’était vrai, que je l’abandonne, elle. J’habitais dans une villa abandonnée. J’étais à mi-chemin quand une de mes sœurs m’appelle pour me dire que c’est lui qui a le sabre et qu’il me cherche pour me couper la main.
Mais j’arrive au taxiphone quand une de mes sœurs me dit : « Il a tué sa femme parce qu’elle a relevé ses jupes », ce qui chez nous ne se fait pas, c’est une insulte. « Et il l’a frappée avec un manche à balai ». Je suis rentré chez moi, c’est vrai j’avoue j’avais deux pistolets. Je vous jure que c’est vrai, je les avais volés dans la maison, les chargeurs ils étaient cachés dans une couette et les armes elles étaient cachées sous un cerisier. C’est ma belle-sœur qui les a déterrées et elle les a cachées dans une canalisation. Mon frère a téléphoné à la gendarmerie et il m’a fait porter le chapeau en disant que c’est moi qui avais tué ma belle-sœur. Je vous jure, je fais pas vingt mètres et je vois toute la gendarmerie, des mecs armés jusqu’aux dents, et mon frère il était avec eux, avec les gendarmes et les chiens ! Il est allé droit au trou sous le cerisier pour leur montrer et il leur racontait : « Il vient de sortir de prison, il est très dangereux, il fait du trafic d’armes… ». On m’a passé les menottes. J’ai pas donné mon vrai nom, j’ai dit Manu Jansen. Je voyais mon frère dans le dos des gendarmes qui me faisait signe avec ses doigts comme quoi j’allais en prendre pour 10 ans. Et je me disais : « Battu, trois petits points, et avec l’argent perdu » (« Battu, baisé et bien eu », traduction d’un proverbe). Ma femme a dit qu’elle avait été gravement battue, battue comme Jésus-Christ. Elle est allée l’après-midi à l’hôpital et elle est revenue le lendemain. Elle a déchiré le certificat médical. À la maison, mon frère a trop bu, il a pris un couteau et il a dit qu’il la tuerait. Mais toute la famille qui était sur le “platz” (campement) a dit que c’était moi qui battais et qui menaçais.
La fin est très belle, il faut m’écouter. Je vous ai dit que mon frère jouait beaucoup à barboute et qu’il devait de l’argent à un usurier : il lui a raconté que si moi j’échappais à la prison, je viendrais le tuer et qu’il pourrait plus lui rembourser tout l’argent qu’il lui devait ! Alors l’usurier, il a menacé ma femme : « Si tu fais pas comme on dit, ça ira mal pour toi, je tue toute ta famille, je te fous le feu ». Mais ma femme a été expulsée ! Sept jours plus tard devant le juge, elle a réussi à venir de Roumanie avec sa mère, en avion, parce qu’elle savait que j’étais pas coupable. Elle a été menacée par la justice que si elle continuait à faire un faux témoignage on lui prendrait ses enfants jusqu’à leurs 18 ans.
Il y a dans ce monde le diable, qui est un lion, et nous on est au milieu sur une roue et cette roue elle tourne, elle tourne, pour que le diable puisse nous prendre. Quand il voit qu’on est faibles, il nous attrape et on devient sa chose. Mais quand il voit qu’on prie Dieu, alors le diable il peut plus nous attraper et c’est ce qui est arrivé, il l’a prise ma femme, au milieu, et tout simplement il a couché avec elle.
Le Prince, Tarascon 2015. Traduit du roumain par Laure Hinckel.