Cette histoire est tirée du volume 1 des Histoires vraies du dedans dans le cadre des ateliers menés en 2015-2016 dans les centres pénitentiaires des Baumettes à Marseille et Toulon-La Farlède, le centre de détention de Tarascon et à la Valentine, dans l’établissement pénitentiaire pour mineurs.
On m’appelle Răul-şi-atât1. J’avais dans les 15 ans. Un jour, maman m’envoie à la ville d’à côté, vu que nous vivions au village, pour acheter une carte de téléphone. C’était pour téléphoner à papa qui était parti en Allemagne. Elle me donne environ 2 millions, des lei anciens, ça fait environ 50 euros.
J’étais sur mon vélo, je pédalais, et je passe devant un de ces trucs, vous savez, où se trouvent des machines à sous. Je suis entré dedans, j’y ai perdu tous les sous de maman. Je me suis alors demandé comment j’allais faire : il ne me restait plus rien. J’étais là, à tourner dans tous les sens, en me demandant comment j’allais m’en sortir, quand je suis passé devant un ferrailleur. Vous savez, ces endroits où on vous achète les vieux métaux. J’ai forcé l’entrée, j’ai cassé un carreau, j’ai trouvé une bourse pleine d’argent. J’avais l’âge que j’avais et je n’ai même pas pris tout ce qu’il y avait dedans ! J’ai paniqué, je pense. J’ai pris ce qui tenait dans une seule main ! Comme dans l’histoire de Pâcală2 , qui avait besoin de 35 galbeni3, qui en trouve tout un sac dans le tronc de l’arbre et qui ne prend que les 35 qu’il avait besoin ! J’ai pris dans les 35 millions et quelque, si vous savez comment c’est, les sous en Roumanie (environ 800 euros). Avec cet argent, je suis allé acheter la carte de téléphone de la valeur que voulait maman, je suis rentré à la maison, mais très tard le soir. Maman m’a bien engueulé, qu’est-ce que j’avais bien pu manigancer pendant tout ce temps ? Moi, je lui ai rien dit. Comment j’aurais pu avouer que j’étais allé fourrer mon nez dans des affaires pareilles ? J’ai inventé que j’avais perdu du temps parce que le magasin n’était pas ouvert, en bref, ma mère, je lui ai fait avaler n’importe quoi.
Tout cet argent que j’avais, je savais plus quoi en faire ! J’ai pris un vélo pour mon petit frère, je me suis acheté un scooter de montagne, et il me restait des sous ! Je les gardais même pas à la maison, parce que maman m’aurait demandé d’où je les avais : « Comme tu t’es fait cet argent ? Où tu as trouvé ça ? ».Je les ai donc confiés à un copain qui les gardait chez lui, dans son garage.
Elle a bien fini par savoir que j’avais de l’argent ; toutes ces choses que j’avais soudain, j’ai pas pu les cacher bien longtemps. J’ai bien dû lui raconter… mais à moitié. Aujourd’hui, elle croit que j’ai gagné cet argent au casino4. Et que c’était un coup de chance.
À partir de ce moment-là, ce que je voyais dans les mains des collègues, pour avoir la même chose, j’ai volé. Et voilà que j’ai volé, j’ai volé. J’ai fait tout ce qu’il ne fallait pas faire. Peut-être que si papa avait été là il m’aurait dit : « Fais attention, tu vas te retrouver en prison ». Car c’est ce qui est arrivé. Maintenant c’est trop tard : depuis mes 19 ans j’écume les prisons. Rien qu’en France.
1 : Sobriquet, comme s’en donnent la plupart des truands : Le-Mal-et-c’est-tout.
2 : Personnage de la littérature populaire orale et dont les histoires ont été racontées par Ion Creanga. Pâcală est le plus jeune mais aussi le plus bête de trois frères. Dans toutes ses actions, il agit au pied de la lettre, manifestant un sens de l’absurde qui, depuis, a fait florès dans toute la littérature roumaine. Dans une des histoires de la série, Pâcală cherche à ramener à la maison l’argent de la vente d’une vache qu’il n’a pas vendue mais tout simplement tuée par bêtise. Il trouve tout un monceau de pièces d’or dans le creux d’un arbre qu’il vient d’abattre. Mais il ne prend dans le tas que le prix de sa vache, 35 pièces d’or.
3 : Nom de plusieurs monnaies en or qui avaient cours dans les Principautés roumaines (jusqu’au XIXe siècle)
4 : Dans les années 1990, le pays s’est couvert de « casinos », c’est-à-dire de salles pleines de machines à sous. Rien qui ne concorde avec l’impression « tapis rouge et scintillements » qui accompagne d’ordinaire le mot « casino ».
Răul-şi-atât, Marseille 2016. Traduit du roumain par Laure Hinckel.