Cette histoire est tirée du volume 1 des Histoires vraies du dedans dans le cadre des ateliers menés en 2015-2016 dans les centres pénitentiaires des Baumettes à Marseille et Toulon-La Farlède, le centre de détention de Tarascon et à la Valentine, dans l’établissement pénitentiaire pour mineurs.
C’est une histoire qui s’est passée sur la Côte d’Azur. C’était en 2008, j’étais sur un banc, sur la promenade de Menton, et une dame de 45-47 ans promenait son petit chien au bout d’une très longue laisse. Le petit toutou est arrivé à mon niveau. J’ai joué avec lui deux ou trois minutes, puis la dame a appelé son chien et elle s’en est allée. Mais voilà, cette dame était le portrait craché de ma mère morte en 1963. Au moment où elle a appelé son petit chien, j’ai entendu sa voix et je me suis dit « Comme on dirait la voix de ma mère ! ». Ce n’était pas possible, c’était très ressemblant… Je n’ai pas échangé un mot avec elle, peut-être que j’aurais voulu cet échange, mais étant donné que je ne suis pas locuteur de français, je n’ai pas eu la possibilité d’entamer une conversation avec cette dame.
Je suis revenu d’autres fois au même endroit, j’ai recroisé cette femme à plusieurs reprises, dont une fois à la gare de Menton, où elle jouait de la guitare classique – une guitare normale, pas une électrique – en chantant des mélodies religieuses à la gloire du Seigneur. Je l’ai écoutée une dizaine de minutes jusqu’au moment où elle s’est levée pour prendre le train en direction de Nice. Je voulais encore partager la compagnie de cette femme qui portait le visage de ma mère, alors je suis monté dans le même compartiment, mais je n’avais pas le temps de prendre un billet, tout ce qui comptait c’était de mieux découvrir la chère voix entendue sur la promenade, à Menton. Elle m’attirait, cette femme qui avait le visage de ma mère. « Là où elle descendra je descendrai aussi » me suis-je dit, « et si jamais elle chante encore dans le train, alors je pourrai aussi profiter de sa voix ».
Malheureusement je n’ai pas eu l’occasion d’aller plus loin que Cap Saint-Martin, car le contrôleur est monté avec la police et m’a fait descendre, puisque je n’avais pas de billet. J’ai donc raté une belle occasion de rester plus longtemps à ses côtés, à côté de cette femme qui avait le visage de ma mère dont je gardais le souvenir qui était le souvenir conservé par l’enfant que j’étais, puisqu’elle est morte en 1963.
Le Paysan, Marseille 2015. Traduit du roumain par Laure Hinckel.