Histoires vraies du Dedans

Le cercueil contre la peur, par Radu

16 mai 2021

Temps de lecture : 2 minutes

Cette histoire est tirée du volume 1 des Histoires vraies du dedans dans le cadre des ateliers menés en 2015-2016 dans les centres pénitentiaires des Baumettes à Marseille et Toulon-La Farlède, le centre de détention de Tarascon et à la Valentine, dans l’établissement pénitentiaire pour mineurs.

 

Mon père était un homme très dangereux. Il s’est souvent battu dans sa vie. Il n’est jamais allé en prison pour vol et toujours pour violences. Il a fait dans les 15 ans de prison pour violences. Il avait trop d’ennemis. Il disait : « Frappe dans les enfants de tes ennemis pour qu’ils grandissent avec la peur et ne s’en prennent pas à toi ». Il les battait par précaution. Pour qu’ils ne s’en prennent pas à nous. Il n’hésitait pas avec les enfants de notre âge.

J’étais le plus petit de la famille. Les autres, ils ont tous tâté de son poing, moi, il ne m’a jamais effleuré ni même menacé. Il m’aimait beaucoup. Je n’ai jamais eu peur de mon père. Et je n’ai jamais connu la peur. Je vous le dis comme c’est, je n’ai jamais connu la peur. Ni même, comme les autres enfants, la peur des morts, des revenants.

Quelqu’un était mort dans notre rue, j’étais tout petit. Pour que je n’aie jamais peur, avant que le mort soit dans le cercueil, maman m’a posé dans ce cercueil, là, pour que je n’aie jamais peur. Et je n’ai jamais connu la peur.

Un jour, j’étais enfant, et je me souviens, j’avais fait un pari avec quelqu’un, on jouait dans la rue jusqu’à minuit à cache-cache et on avait le droit de se cacher dans les maisons, dans les jardins, et on y passait la nuit… L’aube pointait qu’on était encore en train de courir dans les cours et les jardins chez les gens. Mais voilà qu’un plus grand a l’idée de me dire : « Si t’es cap, va dans le cimetière et rapporte une croix ». J’étais très petit, mais j’y suis allé et j’ai cassé une croix, une en bois, et je l’ai rapportée… Je n’avais pas peur, même pas des morts, alors qu’on racontait beaucoup d’histoires de strigoï, de morts-vivants.

Radu, Tarascon 2016. Traduit du roumain par Laure Hinckel.