Une histoire collectée par Mohamed Kacimi et Benoît Guillaume dans la résidence ALOTRA du boulevard Viala, dans le quartier de la Cabucelle de Marseille.
L’orchestre à Madagascar et à Mayotte
Pascal, par Benoît Guillaume
Quelle histoire, mais quelle histoire… Je jouais dans un orchestre de boîte de nuit à Tana, au Madagascar. On était très connus et un soir il y a un mec, il s’appelait Papagio, c’était un petit gros, qui arrive et qui me dit : « Vous êtes supers, je vais vous inviter chez moi. J’ai une boîte de nuit à Mayotte, vous allez rouler sur l’or ! ».
Je me suis que c’était du pipeau. Mais quelques jours plus tard, il nous a envoyé les billets. J’ai été à l’ambassade de France pour demander le visa, ils m’ont dit qu’il fallait ceci, il fallait ça. J’ai appelé le type, et il m’a dit : « Tu viens à Mayotte, après on voit ». À Mayotte, les flics ont vu nos passeports :
– « Vous n’avez pas de visa ? mettez vous à côté on va vous refouler tout de suite par le premier avion. »
J’ai essayé de voir le monsieur dans la foule, c’était un petit, il m’a fait signe de la main. Le flic m’a dit : « Vous vous croyez où ? Mettez-vous là, on va vous expulser ». On attend, on attend, je commence à avoir peur, tout le monde était parti. Je dis à mes collègues que c’est fini pour nous… Le téléphone sonne, je vois le visage du flic changer, c’est le préfet qui lui dit : « C’est des comédiens professionnels, laisse-les passer ». Ils ont gardé nos passeports, et le lendemain les flics nous ont ramené nos passeports avec des visas long séjour.
On a commencé à jouer dans la boîte de nuit, ils avaient des enceintes grandes comme des châteaux. Mais à Mayotte, même si c’est la France, ils sont loin de nous, les Malgaches. Ils sont en retard, nous on est à la mode. À l’époque, ils avaient une seule route goudronnée. Là-bas, on avait nos affiches partout, il y avait des journalistes pour nous, je m’attendais pas à ça ! Je n’étais pas préparé, on était logés, nourris, une maison spéciale pour nous. Mais notre but ce n’était pas de rester à Mayotte, notre but c’était la France ! J’ai fait venir un bassiste et un soliste de Madagascar. Les Mahorais ont commencé à râler : « Comment vous faites venir des Malgaches pour jouer de la musique à Mayotte ? ».
Je commençais à jouer à la batterie de 9 heures jusqu’à 4 heures du matin, sous mes pieds il y avait une flaque d’eau tellement j’étais en nage ! Avec les filles c’était dingue, j’étais une vraie moissonneuse batteuse avec les nanas. J’en enfilais, deux, trois par soir, dans les loges. Après trois ans, on a décidé de faire une tournée en France pour représenter Mayotte, avec les danseuses mahoraises et la danse du pilon. La presse a commencé à nous attaquer, le patron leur a dit : « Pourquoi vous râlez, l’équipe de France de football est composée de Noirs et d’Arabes et pourquoi Mayotte ne serait pas représentée par des musiciens Malgaches ? ».
Tournée en France
Pascal, dans son studio de la Cabucelle, par Benoît Guillaume
On était décidés à ne plus remettre les pieds à Mayotte. J’ai commencé à tout préparer, on a laissé de vieilles affaires à la maison pour faire croire au patron qu’on allait revenir et on a pris l’avion avec lui pour Paris. On a joué à Bercy, à Toulon, à l’Alhambra, en Normandie, en Alsace, pour faire connaître Mayotte. Là bas ils sont musulmans, ils ont interviewé le patron qui leur a dit : « Moi là-bas j’ai deux femmes – les journalistes n’en revenaient pas, oui j’ai deux femmes. Elles s’entendent très bien, elles font la cuisine ensemble. Aujourd’hui je couche avec l’une une nuit et le lendemain avec l’autre ». Tous les Français ils ont rigolé. On a fait une tournée pendant un mois, les camions prenaient la route avec le matos et nous le train. On faisait la balance, on jouait… Le patron chantait, c’était un Mahorais qui était pour les Français et qui disait : « Dehors les Noirs ! ». Il manifestait avec une pancarte : « Dehors les comoriens ».
Pendant la tournée, j’ai pris des contacts avec des gens, j’ai pris pas mal de contacts. Le patron nous a dit qu’on avait quartier libre, j’ai prévenu mes collègues qu’on allait se sauver. On était à l’hôtel, on a laissé de vieilles affaires dans nos valises et on est partis directement à la gare de Lyon pour prendre le train de Marseille, parce que c’est à Marseille que j’avais le plus de contacts. C’était l’hiver, il faisait un froid de canard, on est arrivés à onze heures du soir, j’ai appelé le copain pour qu’il vienne nous chercher. Il a dit qu’il faisait trop froid, qu’il pouvait pas sortir. Mes musiciens commençaient à se dégonfler, ils avaient peur de se faire arrêter et de se faire expulser à Mayotte. On n’avait pas d’argent car le chef nous avait promis de nous payer à Mayotte. Lui rentrait tous les jours avec des cadeaux, des bijoux.
Cachés à Toulon
On est allés chez le copain, il était sans-papiers. Sa femme s’était déclarée personne isolée et quand l’assistante sociale débarquait, il sortait de la chambre et s’accrochait au rebord de la fenêtre au cinquième étage. Il pouvait mourir comme ça. Très vite le gars nous a dit qu’il ne pouvait pas nous garder, il nous a dit qu’il connaissait une dame à Toulon. Entretemps, notre patron nous a attendu à l’hôtel toute la nuit et le lendemain il a déclaré notre disparition à la police et a donné notre signalement et nos photos. On a changé de look, j’ai enlevé mes boucles, j’ai mouillé mes cheveux, on se baladait jamais dans la rue tous les quatre.
La dame qui nous a hébergés était greffière, elle avait peur d’être condamnée si on nous surprenait chez elle. Elle nous a présenté au consul de Madagascar qui nous demandait de retourner à Mayotte pour régulariser notre situation. J’ai dit : « Pas question, si on retourne là-bas, notre patron il nous tue ! ». Nous on voulait rien, on voulait juste une vie meilleure. Mais le consul, il ne voulait rien entendre. Il voulait nous renvoyer au pays, j’ai soulevé son bureau, il est tombé… Il nous a convaincu d’aller à Mayotte en faisant une escale à la Réunion.
La Réunion et l’arrivée à la Cabucelle
À la Réunion, on s’est sauvés, on avait tout le temps peur de la police. On a joué dans des caves et des boîtes de nuit clandestines. J’ai rencontré une Réunionnaise, elle m’a dit : « Je t’épouse, comme ça tu vas avoir des papiers ». On a été à la mairie, on a fait une grande fête. À la Réunion ils aiment la fête, ils sont pas coincés comme dans la Métropole. On est restés un moment puis j’ai dit à ma femme : « Écoute, mon avenir n’est pas ici, mais à la métropole, je vais devenir un grand musicien ». J’avais un ami qui habitait au foyer du Boulevard Viala à la Cabucelle qui m’a dit : « Viens, je t’ai réservé la chambre 13 ! ».
J’ai vu ça, je me suis dit : « Putain, c’est ça la France ?! ». Je tombais de haut… de très haut. Il y avait un gardien qui est mort dans sa chambre, les pompiers sont venus. Le chef est venu me voir et il m’a dit : « Pascal, je sais que tu veux être musicien, mais là j’ai besoin d’un gardien, sinon tu vas galérer. Tu commences aujourd’hui et à la fin du mois on te paye ». Le lendemain j’ai vu le chef et j’ai dit que je pouvais tout faire, l’électricité, la plomberie, le carrelage, tout. Je savais rien, j’ai tout appris. Je le dis maintenant à mes enfants : la musique ça mène à tout en France.
Pascal, 55 ans