Une histoire collectée par Mohamed Kacimi et Benoît Guillaume dans la résidence ALOTRA du boulevard Viala, dans le quartier de la Cabucelle de Marseille.
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Je suis d’Alger, nous sommes originaires de Mostaganem. Toute ma famille est là-bas, j’y étais technicienne en pharmacie. J’ai quitté l’Algérie en 1989 pour rejoindre mon mari. Mon mari avait des biens, beaucoup, j’habitais la Rose. Je ne connaissais pas mon mari, on se croisait on se disait bonjour, bonsoir. Il était déjà marié et il a perdu sa femme. Il voulait une femme algéroise, ma belle-sœur a pensé à moi. Elle m’a posé la question, je ne voulais pas quitter mon boulot mais mon patron m’a donné une mise en disponibilité de trois ans, on ne sait jamais. Je me suis mariée, je ne sais pas comment, et je l’ai suivi sans savoir ce qui m’attendait.
J’arrive à Marseille, je m’installe dans le 13e. On avait une belle villa, mon mari avait deux boucheries à la porte d’Aix. Les premières années ont été difficiles, il m’a obligé à porter le voile. Je n’aimais pas le voile, le mari était croyant, trop, trop, trop. Moi je suis pratiquante, je fais la prière, j’aide les pauvres. À Alger, j’avais ma voiture, j’allais où je voulais. Là, j’en pouvais plus. En plus il était mon aîné de 27 ans, c’est énorme. J’ai regretté, je regrette encore.
J’aimais un garçon à Alger qui m’a trompé, pour me venger je me suis jetée dans les bras de ce vieux, qui ne pouvait même pas enfanter. Il n’a jamais accepté que je conduise une voiture. D’ailleurs, j’ai toujours mon permis algérien et je circule avec. Je suis restée avec lui 27 ans, et il est mort. Comme il avait adopté une fille la mère a abusé de lui, elle lui a fait signer un testament en faveur de sa fille et comme il était analphabète, il a signé. J’ai intenté un procès, j’ai demandé des analyses pour démontrer qu’elle n’était pas sa fille mais j’ai tout perdu : la villa, les commerces… Je me suis retrouvée dans ce foyer.
J’ai jamais mis les pieds sur une plage, les copines parlaient des calanques, de la Pointe rouge, des Catalans, mais avec mon mari c’était haram, interdit par la religion. Avec lui, j’ai été en Grèce, en Jordanie, à Genève, puis à la Mecque, sept fois. Ma mère ne voulait pas que je divorce, quand elle a vu la merde où j’étais, elle m’a dit : « c’est le mektoub, ma fille ». 27 ans pour rien. Pour nous, c’est une honte de divorcer, je lui disais : « Mais c’est ma vie, maman » ! Elle ne voulait rien entendre. Je n’aimais pas cet homme, je ne pouvais pas aimer cet homme. Quand la nuit tombait, je cherchais une porte par où fuir, c’est infernal de vivre avec quelqu’un qu’on n’aime pas, c’est un calvaire. Personne ne comprend la solitude des femmes…
Maintenant qu’il est mort, j’aime Marseille. J’ai passé une semaine à Paris, c’était une horreur. Je ne comprends pas comment on peut vivre avec des sauvages comme ça. À Marseille, les gens sont plus ouverts. Ils n’aiment pas les Arabes, c’est vrai, mais ils sont ouverts. Mais nous aussi, on n’aime personne, on devrait se calmer nous les arabes, on connaît pas nos limites… Tu vois les mecs en djellaba dans la rue, tu as l’envie de lui dire : « Mais merde, ta djellaba tu la portes chez toi ! ». Quand on est musulman on n’est pas obligé de porter une étiquette sur le front. Merde.
Quand j’ai déménagé à la Cabucelle, on m’a dit : « Tu es folle ! Tu vas dans le 15e, tu vas mourir, ils vont te tuer, ils vont t’égorger ! ». Tu veux que je te dise ? À la Cabucelle, les gens ils sont plus sympas que ceux de la Corniche. C’est vrai on est pauvres à la Cabucelle, mais on est généreux, on est humains. Partout il y a des quartiers qui craignent, à Toulouse, à Paris, mais les gens adorent dire du mal de Marseille. Et moi, pour tout l’or du monde, je ne quitterai pas Marseille.