Une histoire collectée par Mohamed Kacimi et Benoît Guillaume dans la résidence ALOTRA du boulevard Viala, dans le quartier de la Cabucelle de Marseille.
La guerre d’Algérie
Quand la guerre d’Algérie a commencé, les soldats français sont arrivés. Ils ont vidé toutes nos silos creusés dans la montagne des Aurès : neuf réserves, je les ai comptées. Neuf silos profonds de plusieurs mètres. J’avais quatorze ans, les soldats français ont volé tout le blé, ils ont volé les chèvres, ils ont volé les poules, ils ont volé les vaches. Ils ont juste laissé deux chèvres pour les deux orphelins du village, les soldats français savaient que les enfants étaient orphelins. Le blé qu’ils n’ont pas pris – parce qu’il était au fond des citernes, ils ont mis de l’essence dessus et ils l’ont brûlé. Pendant toute la guerre, ma mère et ma grand-mère descendaient dans le silo creusé dans la terre, elles prenaient le blé et le passaient à la meule. On mangeait des galettes avec de l’essence, je te jure que le goût de l’essence je l’ai encore dans la bouche.
À part les cailloux, à part le vent, on n’avait plus rien. On a eu notre indépendance au mois de juillet 1962, au mois d’octobre j’ai pris le bateau à Annaba. Je ne connaissais personne, je n’avais pas de parents, pas d’amis en France… J’avais un pantalon troué et des chaussures déchirées, c’est tout ce que j’avais. Comme on dit : ce qui tombe du ciel la terre le reçoit. Je ne parlais pas le français, pas un mot, « bonjour », « merci », c’est tout.
L’arrivée en France
Je suis allé à Saint-Barthélemy, il y avait un gérant de café qui m’a demandé de rester dans son café. Comme il n’avait pas de lit, j’ai dormi pendant une semaine assis sur une chaise dans le café. Puis je suis monté sur Paris, là-bas j’ai passé vingt-deux jours. À l’époque l’Algérie et la France avaient le même argent, j’avais dans ma poche trois mille francs, j’ai acheté un billet pour aller à Besançon en Franche-Comté. Quand je suis arrivé des ouvriers Algériens m’ont donné à manger et à boire. J’ai bien mangé et j’ai bien bu pour la première fois à Besançon. Je me rappelle bien, j’ai commencé à travailler le 1er décembre 1962. J’ai travaillé dans une fonderie… J’aimais bien, il faisait jamais froid à l’usine.
Maintenant je peux dire que la France à l’époque c’était vraiment bien. Je peux te dire qu’on vivait comme des rois, même quand on travaillait dans les mines, on mangeait bien, on s’habillait bien. Mais à partir des années 1980, la France c’est devenu du n’importe quoi, la France est devenue de la merde. En 1995 j’ai été licencié, pour la première fois de ma vie j’ai connu le chômage, j’ai eu le RMI avant de revenir à Marseille pour prendre ma retraite. Mais la vraie mort, c’est pas la mort, la vraie mort, c’est le chômage. Ça fait mal, alors que la mort tu sens rien du tout. Quand tu es chômeur, tu es mort, on t’enterre pas sous terre, c’est tout.
Saïd, 78 ans