Histoires vraies de la Cabucelle

Le soleil de Marseille, par Chentouf

18 avril 2021

Temps de lecture : 4 minutes

Une histoire collectée par Mohamed Kacimi et Benoît Guillaume dans la résidence ALOTRA du boulevard Viala, dans le quartier de la Cabucelle de Marseille.

 

Le Maroc

Je viens de Larache, du côté d’Assila au Maroc, nous sommes des montagnards, des villageois, une région pauvre du Rif. C’est pour ça que les gens cultivent du hashish dans toute la région. À Kettama, à Chefchaouen, tout le monde cultive le kif pour vivre. Le Roi Mohamed V a donné l’autorisation aux paysans de cultiver le haschich et jusqu’à maintenant personne ne les inquiète, alors que nous si jamais on touche au kif on se retrouve avec les flics sur le dos. Je suis allé très jeune à Tanger, j’ai commencé à bosser dans les années soixante, j’avais dix-huit ans. J’ai vécu à Rabat quatre ans, je bossais comme serveur, comme garçon dans les cafés.

L’Espagne

Après je suis allé en Espagne, à l’époque, aller en Espagne c’est comme si tu allais chez toi : un passeport, quelques francs. Je suis allé à Malaga, je travaillais dans les bars, la danse, je travaillais la nuit, toute la nuit. Mais attention, il n’y avait rien de méchant, rien de sale, les familles venaient dans ce bar, c’était une grande salle et tout le monde dansait, mais ça restait propre, très propre. Ça dansait beaucoup, ça buvait beaucoup mais ça restait propre, Malaga.

C’est ma femme qui m’a donné l’idée d’aller en Espagne, on a eu une fille là-bas, elle est née à la clinique de Malaga. Ensuite, je suis allé en Catalogne, j’ai changé de métier et j’ai travaillé dans le bâtiment. J’ai habité à Barcelone puis à Gérone, ma famille est restée là-bas. Après, c’était la crise, avant il y avait du boulot, il y avait beaucoup d’argent. Les Espagnols, ils ont construit tellement de logements qu’à la fin il n’y avait plus personne pour les acheter !

La France

Je suis allé à Paris, j’ai travaillé dans le bâtiment, j’avais des papiers espagnols. Je vais te dire la vérité, j’ai senti toute la solitude du monde me tomber sur la tête. Mon estomac était rempli de solitude à Paris, je pleurais tout le temps, j’étais triste. Paris, c’était tellement grand pour moi, je n’ai connu que des villes humaines, petites, mais là c’était trop, trop noir, trop inhumain. Je n’ai jamais connu de ma vie un sentiment pareil, je ne connaissais personne. Je me suis retrouvé à Aubervilliers, chez un Marocain de Casablanca. Il m’avait assuré qu’il avait un grand pavillon et j’ai découvert qu’il était dans un foyer… Puis les Français, je te le dis, ils n’ont aucune pitié, les Espagnols c’est des anges à côté des Français… Je ne parlais pas un mot de Français, tous les chantiers étaient tenus par des Portugais.

Illustration de Benoît Guillaume

 

J’ai connu un chef chantier de Tétouan, il m’a embauché dans la construction du tramway, c’était un truc très grand, on m’a donné une carte vitale et j’ai même eu le chômage ! Mais j’avais pas de logement, je suis allé à la mosquée, il y avait un Algérien. Je lui ai raconté mon histoire, il a appelé un Tunisien : « Dis, toi qui un appartement à vendre, tu ne peux pas héberger ce frère ? ». Le Tunisien était d’accord, il avait un deux pièces cuisine à Aubervilliers, mais vide. Il m’a demandé d’avancer le loyer de 400 euros, je lui ai dit que je n’avais pas un centime en poche, il ne comprenait pas : « Mais tu veux un logement et tu n’as pas d’argent ? ». Je l’ai rassuré : « Donne moi les clés, et dès que je trouve un boulot je te paie ». C’est un roman… Le lendemain j’ai trouvé du boulot, je gagnais 1700 euros. Je touchais 12,5 € par heure, et je lui payais son loyer.

J’ai laissé ma famille en Espagne, le proprio m’a demandé de libérer le logement, il devait accueillir sa femme. Je suis allé à la mosquée et j’ai trouvé un autre logement le jour même. J’ai passé trois années à Paris. Depuis le premier jour, je n’ai pas aimé Paris, mais que c’est triste Paris ! En Espagne, tu ouvres les yeux, tu trouves le soleil et tu es heureux. À Paris, j’étais triste, que c’est triste, que c’est gris. Je pleurais tout le temps, même la Tour Eiffel, mais quelle tristesse, mon dieu, quelle tristesse la tour Eiffel : comme les mines à charbon. J’ai pris des photos aux Champs Elysées, à l’arc de Triomphe.

Un matin, j’ai fait mes bagages, je voulais aller à Lyon puis j’ai choisi d’aller à Marseille. On m’a dit que c’était beau comme l’Espagne, j’ai pris une chambre à l’hôtel du côté de la gare Saint Charles. C’est vrai que les Français sont racistes, mais les Arabes sont aussi racistes, en Espagne je n’ai jamais travaillé avec des Arabes. C’est vrai qu’ils sont racistes les Marseillais, mais il y a du soleil à Marseille, et quand il fait beau, le racisme je m’en fous.

Chentouf, 64 ans