Une histoire collectée par Mohamed Kacimi et Benoît Guillaume dans la résidence ALOTRA du boulevard Viala, dans le quartier de la Cabucelle de Marseille.
L’armée
Nous étions enfants, l’armée française nous poussait d’un côté et le FLN de l’autre. On savait pas où foutre de la tête. Si tu suivais les Français, le FLN t’égorgeait, si tu suivais le FLN, les Français ils te guillotinaient. À un moment j’en ai eu marre, je me suis sauvé à Alger, j’avais dix sept ans. J’ai travaillé à Birmandreis, dans une grande société française qui venait de Paris. C’est là où j’ai eu ma première carte de sécurité sociale, qu’on appelait la carte des ouvriers
Un jour, les gendarmes m’ont arrêté, ils m’ont dit que j’étais insoumis et que je devais comme tout citoyen français faire mon service militaire. C’était au mois de juin de l’année 1960, en pleine guerre d’Algérie. Les gendarmes nous ont mis sur un bateau pour Marseille. Le bateau était rempli à ras bord de jeunes algériens, nous étions 900. La traversée a duré trente sept heures, nous avions le mal de mer, nous avons vomi nos tripes. Nous étions tous malades. Les officiers voulaient qu’on nous prenne en photo au moment de l’arrivée, les gens ont cru que nous étions morts tellement nous étions crevés. Nous avons passé 23 jours à Saint-Barthélémy, le temps de nous guérir du mal de mer et après ils nous ont mis dans un train pour Angers.
À la caserne d’Angers, ils nous ont entrainés. Il y avait avec nous des jeunes qui venaient de toute la France : de Paris, de Grenoble, de Marseille, de Toulouse… Après quelques mois, je me souviens bien c’était un 18 janvier, ils nous ramenés en Algérie. Certains de mes camarades ont été postés à Alger, moi je me suis retrouvé dans le Génie à Bougie à construire des routes. J’ai été libéré après le 19 mars 1962. Nous avons été mobilisés pour garder les administrations, les banques, les lycées. Tout le monde avait peur de l’OAS. Les gens du FLN sont venus nous voir, ils voulaient qu’on s’engage dans l’armée algérienne car nous étions des appelés. Nous avons dit non, on en avait marre de la guerre.
L’arrivée et le travail en France
Mes parents étaient heureux de me voir, je suis resté auprès d’eux. En 1963, en septembre, ils m’ont trouvé une femme et tout de suite j’ai pris l’avion pour Marseille. J’avais mon frère qui habitait à Marignane depuis 1954. Il m’a habillé bien comme il faut, il m’a donné de l’argent et il m’a dit : « Tu vois, c’est ça la France ! ». Je lui ai dit : « Si c’est ça la France, je voudrais que tu m’indiques le bus qui va à Aix, moi je ne veux pas de cette France-là ». La vérité c’est que je ne voulais pas rester, parce qu’en fait parce que mon frère – il est mort, je ne sais pas si je dois le dire, tant pis, il aimait boire. Il disait : « L’eau c’est fait pour se laver les pieds, pas pour boire ».
Je suis allé à Aix, j’ai travaillé dans les chantiers partout. Puis j’ai été à Salon-de-Provence où je suis devenu maçon. En 1965, je suis descendu à Marignane, au moment du coup d’État contre Ben Bella. Notre employeur nous a demandé si on voulait aller en Corse, j’ai pas hésité, j’ai pris tout de suite le bateau et j’ai débarqué à Ajaccio pour construire un immeuble à côté de l’aéroport. Au bout d’un mois j’ai craqué, j’ai tout laissé tomber. Tu imagines : tu es sur l’échafaudage et tu as le Corse qui passe et qui sort son flingue pour faire un carton sur les madriers ! Faut être dingue ! Déjà que j’étais traumatisé par l’armée, par la guerre, j’allais pas remettre ça. J’ai pas aimé la Corse, j’ai pris ma paye, j’ai payé le bateau de ma poche et je suis parti.
Je suis revenu à Marseille où j’ai retrouvé la liberté, j’ai recommencé à travailler. Je dois te dire j’ai jamais pris le temps de vivre, ni de m’amuser, ce que j’avais vu durant la guerre m’avait brûlé le cœur pour de bon. J’ai pas connu le bon temps, comme on dit, je travaillais pour faire vivre mes parents et mes enfants. La vérité, j’avais pas les moyens : quand j’ai commencé je touchais 247 francs et à la fin, quand je suis devenu ouvrier qualifié je touchais 645 francs.
Marseille aujourd’hui
Marseille a changé, avant au cours Belsunce, il y avait des cafés, et des cafés, aujourd’hui, au cour Belsunce, quand le mistral se lève, il ne secoue que des plumes. Maintenant tout le monde parle des Quartiers Nord, avant ça n’existait pas… Quand on me parle des gens des quartiers nord, je pense au proverbe de chez nous qui dit : si tu offres ta main au feu ne t’étonne pas si le feu l’accepte. On dit que les Français ne veulent plus vivre avec les Arabes, je les comprends. Ils ont vécu avec nous longtemps, très longtemps, puis ils ont vu qui on était, alors ils se sauvés. Faut les comprendre… ils ont été patients, les pauvres Français. Faut du courage avec les Arabes…
En même temps, quand tu vois ce que la France fait avec ses enfants, ils sont tous mis dans les CFA, on leur apprend des métiers qui n’existent plus. Après ils tombent dans le chômage, ils font des conneries. Si tu vas aux Baumettes, il n’y a que des Arabes : Mohamed Ben Kadour et des Kadour ben Mohamed… Moi, ça fait soixante ans que je suis ici, on m’a jamais demandé mes papiers… J’ai circulé le jour, j’ai travaillé la nuit à Strasbourg, à Nancy, à Metz, à Lille. Dieu merci, j’ai jamais pris une seule épine dans le pied en France.
Rahal