Une histoire collectée le 30 mars 2018 à Revest-Saint-Martin
Transcription de l’histoire audio
“ On me demandait tout à l’heure si j’avais un métier autre que faire de la cuisine pour vous et maire. Tous ceux qui sont ici savent qu’à la base je suis infirmière. Je suis infirmière depuis 20 ans, j’ai été diplômée en novembre 1996. Aujourd’hui je ne travaille plus.
J’ai travaillé à Manosque à la clinique Jean Giono, qui reçoit pas mal de patients en fin de vie, notamment des patients de cancérologie. Je suis en arrêt depuis deux ans maintenant pour une dépression sur burn-out professionnel.
Mon dernier jour de travail était un jour du mois de mai, il y a deux ans, et ça été un jour particulièrement compliqué. Les jours d’avant étaient déjà des jours très compliqués, parce que quand vous avez dans le service 20 patients que vous gérez seule, avec une collègue aide-soignante… Vous avez des patients qui sont déments, vous avez des patients qui ont des problèmes cardiaques, vous avez des patients qui ont été opérés d’un col du fémur, des patients en fin de vie, vous devez gérer et savoir allier tout ça. Et cette fameuse derrière semaine et ce dernier jour de travail, qui était un mardi, a été assez compliqué.
Ce jour-là j’avais un monsieur qui était vers sa fin et son fils vient le voir… Beaucoup de gens s’interrogent et croient que parce qu’on est infirmière on sait tout et qu’on va savoir leur dire ce que personne ne peut prédire. Ce monsieur me dit :
– « Vous croyez que ça va durer longtemps ? »
– Moi j’étais déjà pas terrible. Je lui dit : « Ça fait un petit moment déjà qu’il est comme ça. Est-ce qu’il a vu toutes les personnes qui sont susceptibles de venir le voir, qu’il avait envie de voir ? »
– « Oui, oui. »
– Le monsieur était dans un état semi comateux et son fils me dit : « Bon, c’est difficile ! Qu’est-ce que je peux faire ? Vous croyez que ça va durer longtemps ? ». C’est la question qu’il répétait sans cesse.
– « Parlez-lui, même si vous avez l’impression qu’il vous entend pas, parlez-lui, dites-lui ce que vous avez envie de lui dire, même si c’est pas forcément ce qu’il aimerait entendre quand on est sur sa fin. Mais dites-lui ce que vous, vous avez besoin de lui dire. »
Et puis j’ai laissé le monsieur. Je suis partie et puis j’ai continué ma journée. En début d’après-midi, il y a une collègue de l’étage d’au-dessus, un peu moins vieille que moi en expérience mais plus en âge, qui vient me voir et me dit : « Il faut que tu viennes avec moi, on doit apprendre à notre collègue aide-soignante que son mari s’est pendu ». J’étais assise à mon bureau et je lui dit non. Donc je suis restée là et elle est partie.
J’ai fini ma journée comme j’ai pu, et puis je suis rentrée chez moi comme j’ai pu aussi. Ce jour-là, j’aurais pu me balancer dans un arbre… j’y ai pensé. Mais je suis rentrée. J’ai été chez le médecin, et il m’a arrêtée arrêtée. Je suis partie quelques temps après à Paris au congrès des maires et quand j’étais à Paris, ma binôme aide-soignante me téléphone et elle me dit : « Quand tu rentres de Paris, il faut que tu passes. J’ai quelque chose pour toi. J’ai un cadeau ». Je rentre, je m’arrête chez elle et j’avais une belle orchidée qui m’attendait, avec un gentil mot du fils du monsieur qui était décédé quelques jours après et qui me remerciait de l’avoir aidé. Quelque part, je me suis dit : « T’es plus infirmière, mais même en étant mal, tu as réussi à faire quelque chose de bien ». ”
Nadine