Une histoire collectée le 23 mars 2018 à Saint-Étienne-les-Orgues
Transcription de l’histoire audio
“ Il y a eu un film documentaire qui a été réalisé il y a quelques années par Luc Moullet qui est un réalisateur un peu fou. En fait il a créé le « polygone de la folie ». Le polygone de la folie, ça n’a rien de scientifique et ça se situe entre la Drôme, les Alpes-de-Haute-Provence, les Hautes-Alpes. Il a étudié toutes les affaires criminelles qui avaient pu avoir lieu dans ce polygone de la folie. Il faut savoir qu’à Lardiers il y a eu un meurtre en 1936, un gars qui a tué sept personnes : une famille de cinq personnes et deux bergers. En 1961 je me rappelle très bien, il y a un gars qui a tué deux personnes du village, dont la postière. Et ce Luc Moullet quand il parlait de Lardiers, il disait : « Lardiers, c’est l’épicentre de la folie ».
J’avais 12 ans et j’habitais dans le village. Le lendemain de cette affaire, vous imaginez bien qu’il y avait des centaines et des centaines de flics dans le village, je réalisais pas tout à fait ce que c’était mais je comprenais que cela devait être très grave ! Ça a fait l’actualité du village pendant très longtemps. Le criminel était un peu dérangé. Pendant des années, sa mère et sa sœur disaient aux gens du village : « Un jour il va faire une connerie, faudrait faire quelque chose ».
Dès qu’une femme le regardait, il tombait amoureux d’elle. Et la postière qui était très avenante, elle lui parlait et il était amoureux d’elle. La postière était avenante avec tout le monde et souvent avec un monsieur, le cousin germain de ma maman, en face à peu près de la maison de ce monsieur. Et lui il était persuadé qu’il le faisait exprès pour le faire râler. Un jour, il y a eu une institutrice qui était venue faire un remplacement pendant un mois d’un instituteur qui était malade. Elle discute aussi avec « l’assassin » et pareil, il tombe amoureux de cette femme. À la fin de son remplacement elle s’en va et elle se marie. Quelqu’un découpe la photo du journal et la glisse dans la boîte aux lettres de ce monsieur.
Et là tout bascule. Un jeudi après-midi où il faisait du vent, je me rappelle très bien. Il est sorti avec le fusil. D’abord il a tué le cousin de ma maman, puis il est allé tuer la postière sur les escaliers de l’école où on allait, où le fils de la postière allait. Il va à la maison de la postière car il voulait aussi voir l’enfant, mon ami Jean. Il a eu de la chance, c’est Dieu qui l’a sauvé ce jour là puisqu’il était au catéchisme. Il a mis le feu à la maison et il est parti à la forge où travaillait le mari de la postière, Raoul. Là, il lui a tiré dessus et lui a arraché la moitié du bras. Raoul qui faisait deux fois son poids, il aurait pu prendre un marteau ou n’importe quoi et l’ensuquer comme on dit ici. Il est sorti et il est parti en courant sur la route. L’assassin a rechargé le fusil et il a couru derrière Raoul jusqu’à la ferme du moulin qui se trouve à 1 km du village.
La mère de Raoul, qui habitait au Riou – cette campagne où il y a ce petit ruisseau qui passe, elle voit passer son fils et l’autre lui court après avec le fusil. Elle se met à courir derrière l’assassin en criant : « Léonce, Léonce, arrête ! »
Raoul se réfugie dans cette campagne, le moulin. Mon grand-père était à ce moment-là en train d’aider le Monsieur du moulin pour sortir le fumier de l’écurie des moutons. Raoul se réfugie dans la maison, il y avait encore des paillers à cette époque, on était en 1961. L’assassin avec le fusil se met derrière un pailler et il attend. Mon grand-père sort avec sa brouette de fumier, il le voit, il a pas réfléchi, il part vers lui. Il y avait 100 m et quand il a vu arriver mon grand-père, comme il ne voulait pas lui faire de mal, il a mis son fusil en bretelle. Mon grand-père est arrivé, il a pris le fusil et lui a dit : « Quand on a quelque chose à dire à quelqu’un, c’est pas comme ça qu’on fait ! » Mais mon grand-père ne savait pas ce qui s’était passé là-haut, parce que je sais pas ce qui se serait passé. Après il a attendu les flics, ils sont arrivés, etc.
L’assassin a été jugé irresponsable au moment de l’acte. Il a été considéré comme fou et il a été enfermé pendant des années à Montfavet à côté d’Avignon. Et puis au bout de 20 ou 30 ans il a fini par se pendre. Est-ce qu’un moment il a pris conscience, je ne sais pas ! ”
André