La jeep s’arrêta et le jeune soldat chargé de la surveillance de la barrière de Graba devint blème. Il salua les gendarmes .Il y eut une discussion entre eux .On sut par la suite que le train de quatre heures du soir ne passera pas ce jour là…
La ville était ceinturée par deux lignes de barbelés dont l’une était électrifiée . trois barrières permettaient d’entrer et de sortir du village .Pour ce faire ,il fallait être muni d’ un laissez-passer. Bambara qui travaillait dans un petit lopin de terre que nous appelions « ejjarda » -le jardin- et qui se trouvait hors du village , possédait un laissez-passer permanent qui lui permettait de circuler .Chaque jour ,dès le lever du jour, il sortait du village et ne revenait que le soir ,une heure environ avant le coucher du soleil,couvre-feu oblige.
Bambara était un homme de couleur, de courte taille mais solide .Il avait les yeux rieurs et le sourire au bout des lèvres ….Il ne parlait jamais …Les rares moments qu’il passait au village pendant la journée, il les consacrait à égrener son chapelet assis sur une natte au seuil de sa modeste maison, répondant aux voisins qui le saluaient par un hochement de tête…
Sa douce moitié Zahra Mahlouka était une femme d’une soixantaine d’années Elle était d’une grande taille et avait le teint basané .Des mèches de cheveux blancs ébouriffés sortaient du foulard qu’elle nouait sur son front.
Vêtue d’une longue robe aux couleurs chatoyantes ,elle agitait ses longs bras quand elle parlait de sa voix chevrotante ..On devinait ,à voir ce visage ravagé par les ans , les traces de détresse de misère et de privation qu’ elle aurait endurés …
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Les gendarmes partis, le jeune soldat relia les fils électriques, ferma la barrière et se dirigea d’un pas pressant vers la redoute….
Bambara marchait le long de la voie de chemin de fer d’un pas nonchalant . Ce n’est qu’arrivé à quelques mètres de la ligne électrifiée qu’il réalisa que la barrière était fermée. Son cœur battait la chamade .Il sentait des larmes lui monter aux yeux. Les enfants qui jouaient aux billes le virent .Ils se précipitèrent pour lui conseiller de se présenter à la barrière principale, celle de la route nationale et qui était toujours ouverte parce que gardée par les gendarmes.
Lui, Bambara ,se présenter devant les gendarmes !!! Pensez-vous ? Quelle audace ? .Lui qui n’ose même pas lever les yeux devant un voisin …Rien à faire … La nouvelle se répandit et tout le village nègre était en émoi .
Telle une nuée de sauterelles .les enfants se dirigèrent vers la maison de Bambara et ameutèrent les voisins .Mma Zahra en tête d’une procession de gamins arriva à la barrière. Quand elle vit son pauvre mari abasourdi par ce qui lui arrivait, elle commença à crier :
« Oh Bambara , la nuit va tomber et l’hyène va te dévorer …Les chacals rodent chaque soir et j’entends chaque nuit leur cris menaçants…Oh mon pauvre homme que va-t-il t’arriver ?»
El Hamel ,un grand garçon proposa à Bambara de passer sous la barrière entre les deux rails de chemin de fer. Mais l’entreprise était risquée. Il ne fallait pas que le bonhomme touche la barrière….
Les gendarmes …L’hyène qui dévore…Les chacals qui rodent…Bambara se rendit à l’évidence .Au lieu de mourir seul dans la nuit dévoré par les fauves,il préféra tenter sa chance au risque de mourir électrocuté . Il se mit à plat ventre sur les traverses des rails et commença à ramper …Tout le monde retenait son souffle .Et si à cet instant précis ,on alimentait la ligne avec la haute tension le pauvre jardinier allait mourir carbonisé…Centimètre par centimètre il avança ,sous les cris des enfants qui criaient : « vas y Bambara… surtout ne touche pas aux fils électriques… » Notre homme se plaqua contre le sol et rampa .Plusieurs mains d’enfants se tendirent vers lui et l’aidèrent à passer …Un grand cri de joie. …Bambara était sauvé !
L’on s’éloigna de la barrière .Quelques enfants expliquaient à des badauds venus en retard la mésaventure de Bambara …Un enfant prit une barre de fer et la lança contre la barrière maudite …Eclairs dans la pénombre du crépuscule …On avait alimenté la ligne avec 4000 volts. Tout le monde sentit une sueur froide dans le dos .Il a suffi de quelques minutes…
Au milieu de cette nuée d’enfants qui avait aidé Bambara, Mma Zahra agitait ses longs bras pour remercier ces gamins qui avaient sauvé son homme….C’était l’heure du couvre-feu …
karimdahoo – Texte / Text
Histoire écrite en français / Story written in French