Un an et trois mois à Istanbul. Je croise et décroise les fils de mon histoire. Je dénoue les mystères de la langue. Je suis franco-turque. J’ai l’impression de moins mentir en écrivant ces quatre mots
aujourd’hui, encore que… Premiers jours à Istanbul,je crie fort avec un drapeau turc entre les mains, moi la française. C’est la journée de la femme. Je découvre les clivages politiques, j’écoute les slogans hurlés autour de moi. Je ne comprends rien mais je suis heureuse d’être là, revenue après 28 ans. Ma cousine me traduit au fur et à mesure que la foule avance. Je l’écoute, je veux tout savoir. Elle me parle, se perd dans les détails jusqu’au petit matin. Je dévore. Ma tête tourne un peu. Je pars avec mon père sur la côte Egéenne. Pergame. Sans le savoir alors, debout au vent du théâtre antique, je marche sur les pas de leur rencontre. Mes parents ont vécu 10 ans d’amour à Istanbul.
Je lève la tête. Je suis dans mon jardin. Je regarde la terrasse au dernier étage du bâtiment. Là encore, le passé joue son numéro de prestidigitateur.J’imagine ma mère étendre son linge avec mon frère ou moi, bébé, riant à côté. Quel drôle de hasard, revenir habiter dans le même immeuble. Mais la ville bouge. Je la sens ici et maintenant. Tournée et retournée dans tous les sens, vapur, Moda, Taksim, Fernerbahçe, Marmara, la médiathèque de l’Institut, j’attrape un simit en courant, je me laisse attendrir par quelques gâteaux caramel, chocolat crémeux et baklavas en tous genres. Je suis gourmande. Je veux tout savoir, tout connaître, vite.
Beaucoup d’années ont filé tandis que j’avais le dos tourné. Peu à peu la mélodie de la langue résonne en moi, les mots trouvent leur place. Ça y est, la connexion se fait. Je ne traverse plus de longues heures de solitude lors des réunions familiales. De vernissages en rencontres, en passant par l’exposition « Teneffüs » présentée à Moda, je me développe et m’accroche à ce que j’aime, l’organisation d’événements. En mai est née « Lokomotif »,mon association culturelle à Moda. D’abord à 7 bientôt 16, je laisse la toile s’accrocher aux uns et aux autres. Que le maximum de personnes participent et y prennent du plaisir. Je suis parfois inquiète mais je n’ai pas peur. Istanbul m’accueille et je le ressens. Istanbul attire. Le premier été, huit semaines consécutives de visites d’amis. Ste Sophie-Bosphore-Büyükada. Épuisant. Je fais découvrir ma ville grandiose et intimidante. Cet été pourtant, première infidélité, je la quitte. Je serai partie le temps d’une parenthèse française. Bien sûr, je reviendrai à la fin de l’été. Mais je sais que le pays breton a aussi planté son ancre, si bien, que je ne chavire jamais tout à fait d’un côté ou de l’autre du Bosphore.
Jülide Bigat – Texte / Text
Histoire écrite en français / Story written in French