En cette journée anniversaire du Vel d’Hiv, 70 ans déjà, et première fois que la gauche en parle vraiment, je suis tombé par hasard cet après-midi sur une émission sur France Inter consacrée à la Varsovie d’aujourd’hui.
A un moment, on nous explique que sur les murs de la capitale polonaise, dont le pays a été le coeur de la déportation et de l’extermination des juifs, un « artiste conceptuel » (c’est lui qui le dit) tague, depuis 2009, le graffiti : Juif, tu me manques.
Il a d’abord été arrêté, expliquait-il, pour antisémitisme, mais les policiers se sont rendu compte que ce n’était pas la bonne case, le problème c’est qu’il n’y avait pas de loi pour l’incriminer autrement que pour vandalisme sur propriété, ce qui était ressenti comme injuste par tout le monde. Un débat s’en est suivi dans le commissariat, concernant l’identité polonaise, la nation, l’âme polonaise, ce que c’est qu’un peuple. Même les voyous, ensanglantés, participaient à l’effort conceptuel et idéologique, pour trouver une solution théorique et condamner l’affront fait au pays par la brebis galeuse.
Le commissaire, enfin, las, a lancé : puisque tu les aimes tellement, les juifs, tu as qu’à aller vivre en Israël (je cite de mémoire, c’est à peu près ça).
Ensuite, cet « artiste conceptuel » se félicite de l’évolution des mentalités, et nous explique qu’aujourd’hui l’idée que la culture juive manque à la Pologne est devenue une idée assez banale (grâce à lui donc), puis s’étonne de la vitesse de changement de conceptions du peuple (dont, implicitement, la société marchande est capable).
Juif, tu me manques. Ta culture me manque, veut-il dire. La société polonaise dans sa diversité culturelle aurait besoin de traditions comme la tienne. Voilà le message.
Sur ce, je me suis imaginé que les vœux du commissaire se réalisaient, que l’artiste conceptuel partait vraiment en Israël pour se nourrir de la culture juive, et en ramener une tranche en Pologne.
Je l’imaginais errer dans la tradition juive à la rencontre des juifs polonais exilés, et ceux-ci habitaient à présent dans des maisons en dur et non plus dans des camps ou des ghettos comme à leur départ de Varsovie, des maisons qui avaient appartenu à d’autres exilés, à des Palestiniens. Et j’imaginais l’artiste conceptuel, filant le concept, content de lui, et leur posant cette question : et vous, même si vous ne les avez pas connus, les Palestiniens ne vous manquent pas? Puis il aurait fait le tour de toutes les maisons jadis palestiniennes et aurait proposé ses services, sa peinture: Et si on écrivait sur votre porche Palestinien, tu me manques. Ça ferait joli non? Palestinien, tu me manques, ça sonne bien non? Qu’est-ce que vous en pensez? Non, personne ne regrette?