Boire la mer à Gaza est la chronique qu’a tenue la journaliste israélienne Amira Hass entre 1993 et 1996.
Dans son introduction elle explique le choix du titre :
Juste avant de signer les accords d’Oslo, feu Itzhak Rabin avait dit de Gaza : « Si seulement elle pouvait sombrer dans la mer. » (…) Pour Itzhak Shamir, ancien Premier ministre, Gaza incarnait l’éternelle absence de fiabilité des Palestiniens: « La mer est la même mer, les Arabes sont les mêmes arabes », disait-il. Le point de vue israélien se laisse le mieux résumer par une variante locale de « Va au diable » : « Va à Gaza! ».
Yasser Arafat lui aussi parle souvent de la mer à Gaza. La première fois que je l’ai entendu le faire, il évoquait le rêve palestinien d’un Etat indépendant avec Jérusalem pour capitale. « Et ceux qui n’aiment pas ça », dit-il à ses auditeurs qui appréciaient manifestement ce langage vigoureux, « peuvent aller boire la mer à Gaza. » J’eus besoin d’une explication. On me dit que c’était une variation sur l’expression populaire « Va boire l’eau de la mer », qui ne signifie rien d’autre, là encore, que « Va au diable ».
Quand j’ai dit à Abou Ali, de Jabâliya, que j’avais décidé d’intituler mon livre « Boire la mer à Gaza », il lui vint en mémoire une expression égyptienne: « Boire les eaux du Nil ». C’est cette association-là qui me plaît le plus, car elle signifie: quiconque a goûté aux eaux du Nil y reviendra toujours.
Pour expliquer son établissement à Gaza, Amina Hass raconte aussi dans cette introduction les histoires vraies que lui ont léguées ses parents communistes, déportés, dépossédés de leurs biens, qui ont fui l’Europe en 1949, sans jamais cessé de résister :
De tous leurs souvenirs que je me suis appropriés, il en est un plus vif que tous les autres. Un jour d’été 1944, on fit descendre ma mère, avec tout le reste d’un convoi, du wagon à bestiaux qui les avait transportés de Belgrade au camp de concentration de Bergen-Belsen. Elle aperçut un groupe de femmes allemandes, certaines à pied, d’autres à bicyclette, qui ralentissaient pour contempler l’étrange procession, avec une expression de curiosité indifférente. A mes yeux, ces femmes sont devenues le symbole détestable de ceux qui regardent depuis le bord du chemin et très tôt j’ai décidé que ma place n’était pas parmi les badauds.
Cette histoire est exemplaire des histoires vraies que l’on n’a pas vécues mais qui nous hantent au point qu’elles façonnent nos choix d’existence. Celle-ci dit vraiment qui est Amira Hass, une femme qui toujours conservera l’angoisse de ressembler à une de ces figures de l’indifférence. D’où sa nécessité d’écrire, c’est-à-dire d’agir, de dire, de dénoncer, de ne pas se permettre d’être simple spectateur.
Je me souviens pour ma part de cette nuit d’été sous un lampadaire, près de la piscine du Time Share loué à la semaine sur les Iles Canaries, à bouquiner Mort à Crédit. Avec mon frère on partageait la même chambre, et je devais le laisser dormir. Je me souviens de cette colère contre le plastique des chaises et contre les vacances en général, contre tous ces trous de balle, dont mes parents, qui acceptent l’état moisi des choses contre des loisirs à deux francs. Je me souviens de cette angoisse de faire partie de cette masse de touristes, et la nécessité de m’exclure de ce monde abîmé. Les choix que j’ai fait par la suite ont été déterminés par ces moments d’ennui, de solitude, littéralement de vacances, imprégnés dès les premiers kilomètres de l’odeur âcre des miettes de sandwichs au jambon coincés dans les sièges de la R14.