– Poupette est venue voir ses parents !
– Ah oui ?
– Oui ! Oh , maintenant, elle est bien ; elle habite au Havre, elle a deux beaux petits, un bon mari. Elle est rigolote, elle parle parisien.
– Mon Dieu ! Cette pauvre Poupette, enfin, si elle est heureuse, ça va !
Les parents de Poupette habitaient à deux cents mètres de la mercerie de ma grand-mère. Sa mère, Mandine, restait derrière les volets. Je ne l’ai jamais vue dans la rue. Son père, Simon, faisait toutes les courses. Poupette, moi, je ne la connais pas. Elle est partie avant ma naissance, il y a près de dix ans.
Elle est passée avec sa famille. C’est une jeune femme « moderne », sans maquillage, les cheveux courts. C’est vrai qu’elle parle parisien !
Pourtant, elle est née à coté. Elle a dit à ma grand-mère :
– Madame Eloi, je suis contente de vous voir !
– Oh ! Ma pauvre Poupette !
– Il n’y a plus de Poupette, Madame Eloi ! C’est fini, Poupette. Maintenant, c’est Odette.
Et elle l’a embrassée.
Comme toujours, j’écoute les histoires d’autrefois, sans rien dire, en comprenant peut-être de travers. Poupette était la plus belle fille de la rue. Elle avait quinze ans, elle a commencé à sortir, à aller au bal. Ses parents, qui n’étaient pas riches, ne s’étonnaient pas de la voir porter des toilettes coûteuses (« même un boa en plumes ») ou tout au moins, ils ne disaient rien. C’étaient des gens qui ne disaient rien.
Et puis un soir, elle n’est pas rentrée. Et ses parents ont attendu. Et puis son père qui ne disait jamais rien est allé à la police. Et la police ne savait rien. Et ses parents attendaient. Son père se courbait chaque jour un peu plus, il s’occupait de sa petite sœur, faisait les commissions sans rien dire. Et sa mère restait derrière les abats-jours toute la journée.
Poupette avait fait la connaissance d’un jeune homme qui, après lui avoir fait croire qu’il était amoureux d’elle, l’avait mise sur le trottoir, ou plutôt, il l’avait enfermée dans une maison. Les mois ont passé. Ses parents attendaient toujours ou peut-être plus.
Puis un jour ils ont reçu une lettre : Poupette avait réussi à faire passer un mot par un client. Simon est allé à la police. Comme elle était mineure, ils ont pu la récupérer et elle est revenue dans la maison aux volets fermés.
Mais elle ne pouvait pas rester là, dans cette rue où tout le monde savait ce qui lui était arrivé. Alors son frère Bernard qui travaillait à Paris chez un grand fabricant de voitures l’a faite venir auprès de lui et lui a trouvé du travail.
À l’époque, il y en avait du travail. Les bureaux et les ateliers avaient toujours besoin de plus de monde. Elle a fait de la mécanographie ou quelque chose du même genre chez le fabricant de voitures. Et on n’a plus entendu parler de Poupette. Ou alors : Ça va Poupette ? Vous avez des nouvelles ? Ça va, ça va.
De loin en loin, on a su qu’elle s’était mariée, qu’elle avait des enfants. Et puis elle est venue avec son mari, ses petits, son accent pointu. Puis elle est repartie au Havre, avec son mari, ses petits.
– Oh, c’est que Poupette, maintenant, elle a un bel appartement là-bas, et un bon travail, et son mari aussi.
Eh bien, plusieurs années après, un jour, ma mère me dit : « Tu sais, Poupette, la fille de Simon ? Elle s’est suicidée. Elle s’est jetée par la fenêtre ! »
Au Havre, malgré le bon travail, le bon mari, les beaux petits, le bel appartement, tout quoi…
Nicole Bled