Pathos. Encore un récit qui va faire dans le pathos.
Certes, le sujet est poncif et sous un certain angle que je renie pas miséricordieux. Miséricorde pourtant sincère et profondément voire organiquement ressentie.
C’est donc avec ce qui me reste de vivant et d’humain au fond du ventre que je vous livre ma rencontre avec ce petit garçon dont le nom m’est encore étranger.
Aix-en-Provence, la belle bourgeoise, élégante, distinguée, aux allures nobles et enlevées. A Aix, on se sent en sécurité. On le sait et on ne peut que le constater, les marginaux n’y sont pas les bienvenus, les sans abris non plus et les communautés tziganes roumaines n’en parlons pas. Tatanes bruyantes, foulards criards, jupes bariolées, bijoux clinquants, enfant brailleur plaqué sur la poitrine, ces femmes là jurent trop avec le paysage aixois pour que l’on puisse les croisé au hasard d’un lèche-vitrine Hermès, Zadig et Voltaire.
Un soir, musique dans les oreilles, alors que je rentrais de Marseille, voilà que mon chemin croise des yeux pétillants, des petites cannes maigrichonnes, une coiffure ébouriffée, des joues creuses et tannées, un sourire malin et vif. Un petit garçon.
Ce n’est pas un petit garçon comme on en croise 10 ou 100 par jour. Ce n’est pas un petit garçon qui donne la main. Ce n’est pas un petit garçon qui va prendre son quatre heure quotidien chez Bêchard. Ce n’est pas un petit garçon qui joue. Ce n’est pas un petit garçon qui apprend à lire et à écrire. C’est un petit garçon qui tend les deux mains jointes vers l’avant, vers nous, passants pressés, fatigués, dans la hâte d’un retour express au confort des pantoufles, du sofa et du Macintosh connecté à nos si vitaux réseaux sociaux.
Cela ne choque pas. Il est roumain. Ces gens-là vivent de mendicité, c’est bien connu.
Cela ne me choque pas. Je passe devant lui, droite, fière, musique toujours plus forte dans les oreilles évitant tout contact avec autrui. Cadence enclenchée, pourvu que je sois à la maison dans moins de dix minutes.
Cela me choque. Je me choque. Je retourne sur mes pas et observe. D’abord le petit garçon, puis la situation dans sa globalité. Je me dirige alors vers Monoprix, le temple de la vie cher, j’y trouve de quoi se divertir, de quoi s’instruire et de quoi se régaler. J’achète jouets, livres et bonbons. Du superficiel, comme on l’aime, nous les hommes. C’est un cadeau que j’offre sans mots au petit garçon. Il me sourit avec espièglerie et me demande mon prénom. Je lui réponds. Je m’appelle Flora. Je rentre chez moi. J’en ai gros sur la patate.
Les mois passent et alors qu’en étudiante faussement pauvre j’achète croissants et baguettes chez Paul, retentit mon prénom d’une voix aigue et frêle. C’est le petit garçon. Il s’approche et me sourit. Sa malice et sa timidité due à son jeune âge transpirent à travers ses fossettes. Égoïstement et parce qu’il ne se souvient pas seulement de moi mais aussi de mon prénom, je suis bouleversée.
Je sais que ce soir je dormirais chez moi. Je sais que ce soir il dormira dehors.
C’est une histoire à coucher dehors (ou pas).
Si je tais la fin de ce récit c’est peut-être que la réalité mérite parfois de laisser place à une utopie plus supportable.
Flora Nestour – Texte / Text
Histoire en français / Story written in French