Marseille 4 mai 2012
En ouvrant le courrier ce matin, mon regard se pose tout en haut à droite de l’enveloppe. Lettres jaunes sur fond bleu.
Je pense à la place des mots dans ma vie : ma facilité à apprendre à lire, mon plaisir à apprendre des mots nouveaux, mon usage immodéré du Petit Larousse , les livres et le plaisir solitaire qu’ils procurent, les mots qui font mal, les bons mots, paroles et musiques, transmettre une langue par les mots, MA phrase : « les mots sont importants » , les mots qui dépassent la pensée. Et les silences.
Je pense à ma mère. Ma mère et ses silences.
Je suis à Venise. Avec elle. Octobre 1998. Tout y était. Belle lumière d’automne, vignes rougies qui courent le long des jardins. Légère fraicheur du matin. Ruelles étroites au goût de mystère. L’élégance des hommes et des femmes. Des mots en « O « et en « I » qui dépaysent…. Et nous. Ou plutôt elle et moi. Le désir de se découvrir, de faire connaissance. Pour elle, avec la jeune personne que je suis devenue et pour moi, l’envie d’approcher la femme derrière la mère distante et l’épouse réservée.
Elle aimait la vie, mon père et moi. Et les chocolats.
Quelques mois plus tôt, elle avait choisi « Venezia » avec beaucoup d’enthousiasme pour « notre voyage à deux ». Chaque année, je la laissais décider. Par manque de temps. Elle s’était documentée comme font les élèves sérieux .Je la savais impatiente et heureuse. Long voyage en train le long de la Méditerranée. Au petit matin, la lagune.
Dès le premier soir, nous dinons en tête à tête, dans le silence le plus total. Elle était restée plutôt en retrait dans la journée et depuis notre départ. Un brin absente. Comme lointaine. Elle ne fit aucun commentaire. Elle ne partagea aucune impression. Elle se contenta de répondre laconiquement à mes questions. De manière parfois incohérente. Je pensais à la fatigue du voyage. Ou à un mauvais mot de ma part. Inévitable culpabilité….
Venise me sembla durer une éternité. Nos journées furent identiques : résolument calmes et totalement silencieuses. Elle, à mes côtés. Promenant son long corps fin à mes côtés. Je n’existais déjà plus : ni le jour, ni le soir. Murée dans son corps. Drôle d’histoire… Sans parole.
Tout y était. Sauf nous.
Chronique annoncée des mots et des pensées qui s’envolent….
Un soir, au beau milieu d’une conversation familiale animée, sûrement plus morose que d’ordinaire, elle griffonna « Pauvre Gisèle » sur l’emballage d’un chocolat qu’elle venir d’engloutir.
Ce furent ses derniers mots.
Cocomars – Texte / Text
Histoire écrite en français / Story written in French