Un vieil homme digne, bien habillé, a reproduit sa cellule de Tazmamart en miniature à l’aide d’une boîte en carton. Il nous montre comment, par un système de cordelettes, il ouvrait le clapet, que les gardes tenaient fermé, de l’intérieur, ce qui permettait de bénéficier d’un peu de l’air frais du couloir en été, et de discuter avec les autres codétenus.
Ce monsieur s’appelle Salah Hachad. C’est un homme ingénieux parmi cette bande de 58 condamnés pour avoir involontairement participé à des tentatives de coups d’Etat contre le roi Hassan II, un des 26 rescapés. Il a été détenu dix-huit ans dans la prison de Tazmamart, dans le noir complet, mais pas tout à fait :
J’ai trouvé ce système, on observant les différences de noir entre le jour et la nuit. Il y avait cette ouverture que j’ai distinguée. A l’aide d’un petit miroir qui sort par le trou de la cellule, on a eu la lumière du ciel. Une tâche carrée de 30 cm pénétrait. On se rappelle tous de cette première fois qu’on l’a vue. Quand le soleil arrive et touche le trou du plafond. On le capte et on le fait descendre à l’intérieur de la cellule : ça y est on l’a. On se faisait bronzer, on mettait les joues pour ressentir cette chaleur.
Emprisonnés le 7 août 1973, ils n’auront de nouvelles de leurs familles qu’en 1978. Puis très sporadiquement jusqu’en 1991. Les conditions de vie sont déplorables, les prisonniers tremblent de froid l’hiver et étouffent l’été, meurent les uns après les autres.
Dix-huit ans dans un cube de pierre, dans le noir. Est-ce possible ? Qui va nous croire ? se demande un des détenus qui témoigne dans le documentaire de Davy Zylberfayn, Vivre à Tazmamart, 2004, Cauri Films et TV10 Angers.
Nous quand quelqu’un mourait c’était tout le monde. On est mort trente-deux fois.
Aziz Binebine explique que les premiers jours de son incarcération, il s’est résolu à tirer un trait sur son passé, tout ce qui le rattachait à l’extérieur, famille, amis. Il raconte qu’un autre détenu est devenu fou, il parlait à ses frères, sa mère, il refusait sa nouvelle réalité. Il est mort, littéralement la peau sur les os, bouffé par les vers.
Aziz explique que dans la prison de Tazmamart, l’ennui et la solitude étaient deux terribles ennemis. Mais parmi nous il y avait des gens qui avaient des choses à dire, des choses à raconter. Et pour raconter il fallait préparer. Moi j’avais beaucoup lu, beaucoup vu de films avant la prison, et j’ai pensé que je pouvais récupérer ces histoires et les raconter à mes camarades. Pour tenir, c’est-à-dire raconter, sortir de la cellule pour aller vers des horizons de la littérature, du cinéma. Et grâce à Dieu je me suis trouvé des dons de conteur.
On commençait après le petit-déjeuner et je racontais jusqu’au déjeuner, donc toute la matinée. En plus il fallait préparer. Faire un travail de mémoire, de reconstitution. Je passais une grande partie de la nuit à préparer ce que j’allais conter le lendemain. Ça m’occupait, et je vivais dans le monde de personnages de la littérature, de l’imaginaire, qui avaient leur place à Tazmamart. Ça m’a beaucoup aidé, psychologiquement et physiquement, puisque ça suit.